vendredi 9 janvier 2015

Un révolutionnaire, le Christ ?


Un révolutionnaire, le Christ ?
L’Orient-Le Jour
Mardi 12 janvier 2010 N°12761

Les derniers propos du général Aoun sur une prétendue similitude entre la passion du Christ, vrai Dieu et vrai homme, et la passion de Hussein d’une part, entre Achoura et la Semaine sainte de l’autre, n’engagent évidemment que leur auteur. Ils n’en demeurent pas moins choquants pour les chrétiens de base qui, comme moi, sont attachés à l’intégrité de leur foi mais savent que leurs amis musulmans ne leur en tiendront pas rigueur. Nous nous connaissons suffisamment bien et depuis assez longtemps pour ne pas être obligés de nous composer des similitudes de complaisance. Sur la pertinence de la thèse aouniste que « les deux prédictions sont similaires, même si chrétiens et chiites ont évolué chacun dans des environnements différents », je laisserai à des personnes plus savantes le soin de faire les réponses adéquates. J’y aperçois tout de même l’indice d’un « relativisme religieux », incompatible avec la doctrine chrétienne comme d’ailleurs avec la plupart des doctrines religieuses. Je me bornerai simplement à relever deux erreurs que le plus humble chrétien bien instruit de son catéchisme ne peut ignorer. La première consiste à identifier le christianisme à je ne sais quelle religion du progrès, la seconde tient dans un pseudo messianisme que l’Eglise rejette sous le nom de millénarisme (Catéchisme de l’Eglise catholique, Mame/Plon, 1992, § 676).

Le christianisme : religion du progrès ?

« Les révolutions, dit le général Aoun (cf. L’Orient-Le Jour du 29 décembre 2009), constituent des trajectoires irréversibles pour l’humanité [...] Le niveau le plus élevé du martyre qui fait passer l’humanité d’un état à un autre existe dans la raison et les sentiments des chrétiens et des chiites [...] » Comme toutes les déclarations ambiguës qui se prêtent à plusieurs interprétations, celle-ci incline à croire que le message chrétien est de nature essentiellement révolutionnaire visant à faire évoluer le monde. La raison d’être de l’Incarnation du Verbe cesserait d’être la réparation des péchés, le salut des âmes et l’accès à la vie surnaturelle pour devenir l’évolution du monde, « l’organisation terrestre destinée à se poursuivre sur des millions d’années ».

C’est là l’hérésie moderne d’une prétendue « montée des humains vers une super humanité », d’une « transfiguration de l’Eglise militante en Eglise qui ne compterait plus de pécheurs » ou qui cesserait d’être en butte aux attaques du monde ; c’est l’hérésie en vertu de laquelle « la construction de l’humanité par la recherche, la science et l’organisation, finirait bientôt par s’identifier avec l’Eglise de Dieu » (R.-Th. Calmel).

Il faut avoir une idée très basse et prosaïque de Dieu, ajoute le P. Calmel dans sa Théologie de l’histoire, pour croire que ce Dieu qui nous a créés et élevés à l’ordre surnaturel, qui nous a tout donné et s’est donné lui-même dans son Fils, né de la Vierge, mort sur la Croix le Vendredi Saint pour le rachat de nos fautes, qui est ressuscité le troisième jour, nous a envoyé le Saint-Esprit, a institué l’Eglise, n’aurait eu d’autre idée dans son gouvernement providentiel, que de permettre la mise au point des techniques et des machines, la fraternisation idyllique des peuples, l’avènement d’une humanité transfigurée, la mise en place d’organisations sociales.

Certes il existe une Providence, qui est le gouvernement de Dieu sur le monde. Certes il est dans la nature du christianisme de secréter une chrétienté, c’est-à-dire une civilisation née de l’imprégnation du temporel par le spirituel ; certes le Seigneur Dieu, « par la propagation et la durée de notre espèce, veut permettre aux hommes de déployer leurs richesses naturelles, établir une civilisation moins désaccordée de leur dignité, améliorer dans une certaine mesure leur établissement passager ici-bas » ; certes l’occupation aux choses de la terre, si elle est le fait d’une âme surélevée par les vertus théologales, unie à Dieu, concourra pour sûr au Royaume de Dieu. Mais de soi, l’objet de cette occupation demeure terrestre ; il ressortit à l’ordre naturel et non point surnaturel. Tandis que « le christianisme n’est pas la religion du progrès, mais du salut » (Péguy).

Millénarisme

« Le retour des deux [le Christ et le Mahdi], ajoute Aoun, vise à rétablir la justice et à sanctionner les mauvais ».

L’Eglise considère comme une « imposture antichristique » la prétention d’ « accomplir dans l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever qu’au-delà d’elle [l’histoire] à travers le jugement eschatologique » (CEC, § 676-677). L’Eglise condamne sous le nom de millénarisme ce pseudo messianisme qu’elle tient pour une « falsification du Royaume à venir ». Le millénium enchanteur n’arrivera jamais dans le temps. L’exclusion définitive et complète des impies et des pervers est différée jusqu’après le dernier jour.

L’Apocalypse, fait observer le P. Calmel, coupe court à ce rêve enfantin mais lâche, qui fait espérer pour la vie du chrétien une fidélité au Christ sans tribulation et pour l’avenir de l’Eglise une ferveur de sainteté qui n’aurait plus à subir les persécutions du monde. « Le Royaume, dit le Catéchisme de l’Eglise catholique, ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Eglise selon un progrès ascendant ». L’Eglise ne triomphera que par la Croix. Elle « n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers cette ultime pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection » (CEC, § 677).

Principe de ces erreurs

L’enseignement le plus formel de l’Eglise indique une discontinuité entre l’Eglise et le monde. « Le temps est court ; ainsi que ceux qui sont mariés soient comme ne l’étant pas ; ceux qui pleurent comme ne pleurant pas et ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas ; ceux qui achètent comme ne possédant pas et ceux qui usent de ce monde comme n’en usant pas » (1 Co VII, 29-32) ; « qui aime sa vie la perd ; et qui hait sa vie en ce monde la garde pour la vie éternelle » (Jn XII, 25), etc. La double erreur aouniste dérive d’un même principe : l’ignorance de cette rupture de continuité entre le Royaume de Dieu et les biens de la terre et la confusion initiale entre le monde et l’Eglise. Comme si la vie éternelle était réductible à la vie d’ici-bas ; comme si le temporel avait pour finalité de se confondre peu à peu avec la Jérusalem céleste ; comme si l’espérance était tombée du ciel sur la terre (Gustave Thibon).

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