vendredi 9 janvier 2015

La vérité provoquera-t-elle un séisme ?


La vérité provoquera-t-elle un séisme ?
L’Orient-Le Jour
Samedi 12-Dimanche 13 mars 2011

Le droit pénal se propose un double objectif : déterminer les responsabilités et proportionner les peines. Au terme du procès, la chose jugée - mais dans son ensemble - ne constitue pas à proprement parler la vérité, elle est tenue pour la vérité res judicata pro veritate habetur. Les Libanais épris de justice, de souveraineté et de liberté attendent impatiemment l’identification et la détermination des responsables des attentats, mais semblent se résoudre à l’innocuité du châtiment. Ils savent par avance que les peines de prison n’auront pas d’effet vraiment dissuasif sur les auteurs et les commanditaires des attentats et que même les condamnations à perpétuité ne sont plus perpétuelles.

Mais ils savent d’expérience que les attentats politiques commis ces trente dernières années contre leurs dirigeants portaient tous la marque du crime parfait. Impossible d’en élucider aucun. Tout se passe comme si la stratégie du crime parfait était indispensable à la stratégie de conquête du pouvoir. D’où leur ardeur à connaître la vérité comme moyen imparable de démasquer et, du coup, déjouer machinations et entreprises criminelles. La question se pose évidemment de savoir si la vérité, sitôt connue, aura sinon sur ceux qui ont par anticipation endossé l’habit de l’assassin du moins sur leurs amis et alliés, l’effet du séisme qu’on ne cesse de leur prédire. Voici pourquoi il est permis d’en douter.

Une des règles les plus malmenées de ces six dernières années aura été la règle d’or : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. Le camp du 8 mars et de ses alliés régionaux s’est constamment dérobé à cette règle en faisant un usage immodéré de la règle contraire du deux poids, deux mesures. Ce qui vaut pour lui ne vaut pas pour le camp adverse, ce qui vaut pour le camp adverse ne vaut pas pour lui. La démocratie consensuelle et le tiers de blocage de rigueur quand il est minoritaire, seront balayés d’un revers de main une fois au pouvoir. Ici les soulèvements populaires contre les dictatures sont « le prélude à un événement considérable annoncé par les prophètes » (Ahmadinejad), là les chefs de l’opposition sont accusés de faire « le jeu des Etats-Unis et du sionisme ». De là à soupçonner les partisans du 8 mars de trouver des justifications aux assassinats quand ils ne visent que leurs adversaires, il n’y a qu’un pas que nous nous interdisons de franchir. Beaucoup d’indices cependant les montrent indifférents à la vérité.

Qu’il se soit trouvé quelques esprits malades et décervelés qui proposèrent aux passants des sucreries pour célébrer l’assassinat de Gebran Tuéni, ne peut à l’évidence être imputable à tous les partisans du 8 mars. Passe encore que l’on nous presse de jeter l’éponge et de nous résigner d’un cœur léger à ne pas connaître l’identité des assassins au nom d’une triste fatalité reléguant dans un éternel oubli quantité de crimes historiques jamais élucidés. Mais qu’un seigneur du Nord déclare en 2006 toute honte bue que ses relations avec le chef d’un Etat voisin demeureront excellentes quand même il apparaîtrait que cet Etat est responsable de l’assassinat de Rafic Hariri ne manque pas de cynisme ; mais qu’un autre dirigeant ait fait récemment une stricte équivalence entre la vérité sur les assassinats et la vérité sur la question des « faux témoins » ne laisse guère de doute sur leur peu d’enthousiasme pour connaître la vérité. Alors nous revient en mémoire la réponse de Jésus à Pilate : « Quiconque est de la vérité, écoute ma voix. » Ce qui veut dire que la vérité est loin de s’imposer par la seule force de son évidence. Car, expliquent les exégètes, il ne suffit pas de connaître la vérité pour être sensible à ses sentences, encore faut-il être ami et du parti de la vérité.

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