Entre le 8 et le 14 mars existe-t-il un juste milieu ?
L’Orient-Le Jour
Mercredi 22 juin
2011
La vie politique ne va pas sans compromis et les
sacrifices consentis ces derniers mois par les leaders du 14 mars, si
douloureux soient-ils, étaient d’autant plus nécessaires qu’à les en croire ils
auraient eu pour finalité la sauvegarde de la paix civile, serait-ce aux dépens
de la liberté et de la souveraineté. Nous leur faisons crédit d’une telle
appréciation. Car en effet l’aspiration à la liberté et à la souveraineté est à
juger à l’aune du prix à payer. Il faut se défendre contre l’injustice à
condition que les dommages prévisibles résultant de la lutte ne surpassent pas
ceux de l’injustice, auquel cas il vaudrait mieux la subir. C’est donc pour
avoir jugé que le prix à payer pour la liberté et la souveraineté risquait
d’être exorbitant que les leaders du 14 mars ont, à contre cœur, accepté de
composer avec l’autre bord. D’où les arrangements de Doha et ceux qui s’en sont
suivis, qui vont de l’élection présidentielle à la formation de deux
gouvernements consécutifs d’« unité nationale ». Du coup un nouvel
espace politique était né aux côtés du 8 et du 14 mars et l’usage s’est
aussitôt répandu d’accoler l’étiquette centriste à ses occupants, à savoir
le président de la République et les ministres nommés par ses soins.
Tranchons le mot : la lutte menée pacifiquement
par les leaders du 14 mars au péril et souvent au prix de leur vie, pour la
défense de la suprématie de l’Etat, de ses institutions, de son droit exclusif
à la détention et à l’usage des armes, pour la liberté et la souveraineté du
pays contre la tutelle et l’hégémonie étrangères mais aussi contre les menées
putschistes entreprises par des factions internes armées jusqu’aux dents, cette
lutte épouse si parfaitement les constantes libanaises qu’elle est au cœur et
au centre de la tradition d’un Liban pluraliste, riche de l’harmonie et de la
concorde entre ses diverses composantes. Eh quoi ! Veut-on maintenant nous
persuader qu’entre le Liban de toujours, le vrai, l’éternel et un Liban
sectaire, extrémiste et violent, il y aurait de la place pour un nouveau
centre, un autre milieu ? Que l’on nous permette de raisonner par
analogie. Ecoutons, pour cela, la leçon d’Aristote sur la notion de « médiété ».
C’est au livre II (chap. 6) de son Ethique à Nicomaque, à propos de la
définition de la vertu.
La vertu, dit-il en substance, est un milieu entre
deux vices contraires, l’un par excès, l’autre par défaut. Mais
attention ! « Ce qu’il faut » entre le trop et le trop peu n’a
rien à voir avec la médiocrité. Au contraire, c’est un sommet entre deux
versants, comme le courage un milieu entre la témérité et la lâcheté, la
générosité entre la prodigalité et l’avarice. Il est plus difficile de tenir la
ligne de crête que de glisser sur l’une ou l’autre pente. Mais s’agissant de
certaines affections telles que la malveillance, l’impudence ou l’envie ou de
certaines actions tels que l’homicide, le vol ou l’adultère, il n’y a pas de
place pour la médiété. « Ces affections et ces actions, et les autres de
même genre, sont toutes, en effet, objets de blâme parce qu’elles sont
perverses en elles-mêmes, et ce n’est pas seulement leur excès ou leur défaut
que l’on condamne » (traduction Tricot). C’est une absurdité de parler de
juste milieu à ce propos comme si l’on pouvait être « modérément »
adultère. Le simple fait de commettre un adultère est une faute. « Mais,
de même que la tempérance et le courage n’admettent ni excès ni défaut, parce
que la juste moyenne ici constitue en quelque sorte un point culminant, de même
les vices que nous avons cités n’admettent ni moyenne, ni excès, ni défaut,
parce qu’en s’y livrant on commet toujours une faute. En un mot ni l’excès, ni
le défaut ne comportent de moyenne, non plus que la juste moyenne n’admet ni
excès ni défaut » (traduction Voilquin).
Quid du président de la République ? Dans la
mesure où, en garant de la Constitution, il se pose en défenseur des
institutions jaloux de leur bon fonctionnement, il est bien sûr à sa place au
Centre. En faire pour autant une exclusivité présidentielle ou à l’usage des
hommes du Président ne résiste pas à l’analyse. On l’a bien vu à l’usage, la
qualification centriste a connu un développement peu homogène : un jour
elle apparaît comme un cercle fermé difficilement extensible, un autre jour
comme un fourre-tout ouvert à toutes les ambitions.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire