vendredi 9 janvier 2015

Entre le 8 et le 14 mars existe-t-il un juste milieu ?


Entre le 8 et le 14 mars existe-t-il un juste milieu ?
L’Orient-Le Jour
Mercredi 22 juin 2011

La vie politique ne va pas sans compromis et les sacrifices consentis ces derniers mois par les leaders du 14 mars, si douloureux soient-ils, étaient d’autant plus nécessaires qu’à les en croire ils auraient eu pour finalité la sauvegarde de la paix civile, serait-ce aux dépens de la liberté et de la souveraineté. Nous leur faisons crédit d’une telle appréciation. Car en effet l’aspiration à la liberté et à la souveraineté est à juger à l’aune du prix à payer. Il faut se défendre contre l’injustice à condition que les dommages prévisibles résultant de la lutte ne surpassent pas ceux de l’injustice, auquel cas il vaudrait mieux la subir. C’est donc pour avoir jugé que le prix à payer pour la liberté et la souveraineté risquait d’être exorbitant que les leaders du 14 mars ont, à contre cœur, accepté de composer avec l’autre bord. D’où les arrangements de Doha et ceux qui s’en sont suivis, qui vont de l’élection présidentielle à la formation de deux gouvernements consécutifs d’« unité nationale ». Du coup un nouvel espace politique était né aux côtés du 8 et du 14 mars et l’usage s’est aussitôt répandu d’accoler l’étiquette centriste à ses occupants, à savoir le président de la République et les ministres nommés par ses soins.

Tranchons le mot : la lutte menée pacifiquement par les leaders du 14 mars au péril et souvent au prix de leur vie, pour la défense de la suprématie de l’Etat, de ses institutions, de son droit exclusif à la détention et à l’usage des armes, pour la liberté et la souveraineté du pays contre la tutelle et l’hégémonie étrangères mais aussi contre les menées putschistes entreprises par des factions internes armées jusqu’aux dents, cette lutte épouse si parfaitement les constantes libanaises qu’elle est au cœur et au centre de la tradition d’un Liban pluraliste, riche de l’harmonie et de la concorde entre ses diverses composantes. Eh quoi ! Veut-on maintenant nous persuader qu’entre le Liban de toujours, le vrai, l’éternel et un Liban sectaire, extrémiste et violent, il y aurait de la place pour un nouveau centre, un autre milieu ? Que l’on nous permette de raisonner par analogie. Ecoutons, pour cela, la leçon d’Aristote sur la notion de « médiété ». C’est au livre II (chap. 6) de son Ethique à Nicomaque, à propos de la définition de la vertu.

La vertu, dit-il en substance, est un milieu entre deux vices contraires, l’un par excès, l’autre par défaut. Mais attention ! « Ce qu’il faut » entre le trop et le trop peu n’a rien à voir avec la médiocrité. Au contraire, c’est un sommet entre deux versants, comme le courage un milieu entre la témérité et la lâcheté, la générosité entre la prodigalité et l’avarice. Il est plus difficile de tenir la ligne de crête que de glisser sur l’une ou l’autre pente. Mais s’agissant de certaines affections telles que la malveillance, l’impudence ou l’envie ou de certaines actions tels que l’homicide, le vol ou l’adultère, il n’y a pas de place pour la médiété. « Ces affections et ces actions, et les autres de même genre, sont toutes, en effet, objets de blâme parce qu’elles sont perverses en elles-mêmes, et ce n’est pas seulement leur excès ou leur défaut que l’on condamne » (traduction Tricot). C’est une absurdité de parler de juste milieu à ce propos comme si l’on pouvait être « modérément » adultère. Le simple fait de commettre un adultère est une faute. « Mais, de même que la tempérance et le courage n’admettent ni excès ni défaut, parce que la juste moyenne ici constitue en quelque sorte un point culminant, de même les vices que nous avons cités n’admettent ni moyenne, ni excès, ni défaut, parce qu’en s’y livrant on commet toujours une faute. En un mot ni l’excès, ni le défaut ne comportent de moyenne, non plus que la juste moyenne n’admet ni excès ni défaut » (traduction Voilquin).

Quid du président de la République ? Dans la mesure où, en garant de la Constitution, il se pose en défenseur des institutions jaloux de leur bon fonctionnement, il est bien sûr à sa place au Centre. En faire pour autant une exclusivité présidentielle ou à l’usage des hommes du Président ne résiste pas à l’analyse. On l’a bien vu à l’usage, la qualification centriste a connu un développement peu homogène : un jour elle apparaît comme un cercle fermé difficilement extensible, un autre jour comme un fourre-tout ouvert à toutes les ambitions.

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