jeudi 13 avril 2023

« Aide active à vivre, un engagement de fraternité » Réflexions autour du texte des évêques de France

 

« Aide active à vivre, un engagement de fraternité »

Réflexions autour du texte des évêques de France

 

Dans un texte publié sous ce titre depuis Lourdes, le mardi 28 mars 2023, le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France récuse formellement toute légitimation de l’euthanasie ou du suicide assisté. La position des évêques français devançait de quelques jours la remise au premier ministre, madame Elisabeth Borne, d’un avis permissif, rendu public le 19 février dernier par la « Convention citoyenne sur la fin de vie » et préconisant l’euthanasie même pour les mineurs. Le rejet ferme et sans équivoque par l’épiscopat de « l’aide active à mourir » appelle deux observations, l’une sur ce qu’il dit, l’autre sur ce qu’il ne dit pas.

1- Attentifs aux mises en garde de « plusieurs observateurs de notre société, aux opinions philosophiques et aux appartenances religieuses diverses », nos évêques constatent un effet pervers et pernicieux de la légalisation de l'euthanasie. « La facilité légale et économique de “l’aide active à mourirˮ serait non seulement incitative mais une « injonction de renoncer à vivre qu’[elle] ferait peser sur les personnes fragiles ».

Une si néfaste conséquence n’est pas sans rappeler l’immense impact que fait peser sur les personnes, pas nécessairement fragiles, la publicité et la promotion entourant l’inversion des mœurs avec l’assentiment sinon la bienveillance, voire même la complicité des pouvoirs publics. En témoigne l’annulation par la mairie du IIIe arrondissement de Paris, « sous la pression de militants LGBT », d’un colloque qui devait se tenir le 20 novembre de l’année dernière sur « la fabrique de l’enfant transgenre »[1]. Que reprochait-on aux deux chercheurs qui devaient intervenir, le Dr Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, et la psychanalyste Céline Masson intervenantes ? « Leurs torts, à en croire le même journal, avoir publié en janvier dernier un ouvrage intitulé La fabrique de l'enfant transgenre, où elles s'inquiétaient d'une “augmentation des cas d'enfants voulant changer de genreˮ, et d'une “contagion socialeˮ, “influencée par le discours de militantsˮ. “Que défendons-nous ? se récrie Caroline Eliacheff, seulement l'idée que les personnes recevant des mineurs se déclarant transgenres prennent quelques précautions avant de prescrire des traitements aux effets irréversiblesˮ ».

Tel est l’activisme LGBT qui s’insinue dans des organismes publics tels que la Caisse d’allocation familiale (CAF) qu’il a récemment alarmé des personnalités, professionnels de santé, intellectuels, universitaires. Parmi elles on retrouve notamment Elisabeth Badinter peu suspecte de militantisme pro-vie. Dans une lettre ouverte au ministre de la santé les signataires disent tenir à « alerter […] de la diffusion par un organisme dont il a la tutelle […] d’un texte dont la subjectivité et la dangerosité nous ont interpellés ». Elles remarquent que « via les réseaux sociaux, ce sont pour l’essentiel des “vlogueursˮ et blogueurs militants trans-activistes qui propagent cette vague de “conversionsˮ socialement destructrice. Par des allégations mensongères, ces “influenceursˮ induisent des enfants et des adolescents fragiles à s’engager dans de longues et coûteuses thérapies physiologiquement et psychologiquement invalidantes. Et irréversibles. »

La haine de soi qui prévaut particulièrement en France, s’est traduite par des accusations de xénophobie, d'islamophobie, d’homophobie et tout dernièrement de transphobie..., portées contre tout ce qui de près ou de loin prône le respect de la morale naturelle et la préférence familiale, nationale et religieuse. Suppose-t-on un trait distinctif à toutes ces phobies, c’est bien leur commune naturophobie militante, c’est-à-dire une insulte à la nature des choses et à la loi naturelle. Voilà qui nous conduit tout naturellement à la seconde observation.

2- Le discours épiscopal est devenu coutumier d’une grave carence : il omet toute référence à Dieu et à Ses lois. Serait-ce qu’il se fait scrupule de parler incongrûment de Dieu à des hommes-dieux comme à des enfants ? quand, depuis et grâce aux Lumières et au progrès de la civilisation, l’homme peut se targuer d’être enfin sorti « de la minorité » qui le tenait dans l’incapacité « de se servir de son entendement sans la direction d’autrui »[2].

On peut le comprendre, c’est l’essence même de la doctrine chrétienne de la laïcité, pour tout ce qui touche aux préceptes judiciaux, les judicialia[3], ordonnant les rapports sociaux autour des res exteriores, en quoi consiste le droit, la loi évangélique est muette : « Homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ? », dit le christ à deux frères venus lui demander une consultation juridique (Lc 12, 14). « Dieu, dit saint Thomas d’Aquin, en a laissé la détermination à ceux qui ont la responsabilité d’autrui […] au temporel »[4]. Ressortissant à l’individuel et au contingent, « ces déterminations en soi n’ont pas de rapport nécessaire à ce qui est l’affaire de la loi (nouvelle), l’infusion de la grâce dans nos cœurs. En conséquence elles ne tombent pas sous le précepte de la loi nouvelle, mais sont laissées au jugement de l’homme […] »[5], sed relinquuntur arbitrio humano.

Tout autre est la loi morale naturelle. Si comme son nom l’indique, elle est commune à tous les hommes, étant inscrite dans la structure même de leur nature, elle ne peut être qu’universelle, intangible, promulguée par Dieu[6]. Benoît XVI précise : « Quand le Seigneur enseignait aux foules, il ne manqua pas de confirmer la loi que le Créateur avait inscrite dans le cœur de l'homme et avait ensuite formulée sur les Tables du Décalogue »[7]. Elle a été révélée par Dieu sur le Sinaï après qu’elle se fut obscurcie par le premier péché qui livre l’homme à la loi de concupiscence où la chair n’est plus spontanément soumise à la raison[8].

A moins que, autre hypothèse, le discours épiscopal ne juge les choses divines trop au-dessus des capacités intellectuelles de notre époque pour ne pas se cantonner au registre anthropologico-sociologique. C’est hélas, observait Jean Madiran, la tendance de la Commission théologique internationale ramenant à une simple contribution au dialogue[9], non comme une loi divine, les commandements objectifs et irrécusables de la loi naturelle ; des évêques que leur « souci prioritaire d’évangéliser une France “déchristianisée et païenne” »[10] et permissive a incliné à défendre des impératifs moraux par des arguments profanes accessoires tirés de la sociologie[11] et de l’anthropologie, dans l’illusion qu’il seront mieux entendus sur ce registre-là. Mais alors ce serait « méconnaître l’homme de ne lui promettre que de l’humain » prévient Gustave Thibon[12], citant Aristote[13].

Du reste si, comme tout semble l’indiquer, constate Madiran, notre génération n’est pas plus encline à accepter les arguments anthropologiques que la loi naturelle, « où donc le simple fidèle trouvera-t-il la vérité pure et simple ? »[14] Il est impératif, insiste Madiran, d’« annoncer Jésus, ouvertement, intégralement : oui, même quand il s’agit de la loi naturelle. Et surtout si l’on est un théologien catholique : car alors, on sait bien que si la loi naturelle est en soi accessible à la raison, en fait il y faut une longue recherche, qui n’aboutit pas, ou pas pleinement, à cause des risques d’erreur, aggravés par le poids du péché, des passions, des (faux) désirs et des (utopiques) besoins de la personne humaine. Il y faut alors une révélation divine, et le magistère surnaturel de l’Église qui est Jésus-Christ »[15].

Est-il interdit aux évêques, dont la parole s’adresse au premier chef aux chrétiens, de rappeler outre la loi naturelle, certes loi de crainte, mais non abrogée, la loi d’amour révélée par le Christ, qui vient couronner la première ? Le moment et la circonstance ne justifient-ils pas le rappel que Dieu n’éprouve jamais Ses créatures au-delà de leurs forces et qu’en partageant avec ceux qui l’acceptent, le Christ allège le fardeau de leur croix ? Est-ce jeter des perles aux pourceaux que de délivrer à des hommes désespérés le message évangélique d’espérance, franchement et ouvertement, à l’heure la plus propice à la visitation de la grâce, à la veille de la comparution devant le tribunal divin ?

CARLOS HAGE CHAHINE



[1] Cf. Le Figaro du 17 novembre 2022.

[2] Kant, Qu’est-ce que les Lumières ? essai, 1784.

[3] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia-IIae, qu. 108, art. 2, conclusion.

[4] op. cit., solutions : 4.

[5] op. cit., conclusion, traduction de Michel Villey dans Questions de saint Thomas sur le droit et la politique, puf, 1987, p. 103.

[6] Jean Madiran, Court précis de la loi naturelle selon la doctrine chrétienne, pp.16 et suiv.

[7] Cf. son homélie à Varsovie, le 26 mai 2006.

[8] Madiran, op. cit., p. 16.

[9] Présent n°6939 du 3 octobre 2009.

[10] Présent n°4719 du 13 décembre 2000.

[11] Présent n°5406 du 10 septembre 2003.

[12] Page 32 de l’opuscule de Dom Gérard Calvet « Lettre aux 18-20 ans de l’an 2000 ».

[13] Je présume que Thibon fait ici allusion au passage suivant d’Aristote dans l’Ethique à Nicomaque : « Il ne faut donc pas écouter ceux qui conseillent à l'homme, parce qu'il est homme, de borner sa pensée aux choses humaines, et, mortel, aux choses mortelles, mais l'homme doit, dans la mesure du possible, s'immortaliser, et tout faire pour vivre selon la 1178a partie la plus noble qui est en lui […] » (traduction Tricot, Paris, Vrin, 1987, p. 228-229).

[14] Présent n°6939 du 3 octobre 2009.

[15] Ibid.