Protectionnisme et mondialisation
L’Orient-Le Jour
Samedi 20-Dimanche
21 février 2010 N°12794
Un colloque organisé par l’Université libanaise
en collaboration avec l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) s’est
tenu il y a quelques jours en présence des ministres libanais du Tourisme et de
l’Agriculture, pour discuter des perspectives d’adhésion du Liban à l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC). Malgré les timides réserves émises à juste titre
par notre ministre de l’Agriculture, il a été surtout question des avantages d’une
libéralisation à tous crins de notre économie pour la mettre en conformité avec
les exigences de l’OMC. Qu’il nous soit permis de faire entendre à cette
occasion une voix quelque peu discordante.
Je ne crois pas avoir mal assimilé mon cours d’Economie
internationale même si, les ans aidant, je n’en garde que la substance : l’inanité
du protectionnisme. Aucun argument d’ordre économique, nous enseignait-on, ne
saurait justifier les barrières douanières ; les seules justifications au
protectionnisme sont étrangères à l’économie, à la logique économique. Pour le
démontrer, la théorie des « avantages comparés » est imparable. On
peut l’illustrer par l’exemple du médecin et de l’infirmier. Si un médecin est
plus compétent qu’une infirmière pour faire une piqûre à un patient, il y a un
plus grand bénéfice pour tous à confiner chacun dans le domaine où il est plus
compétitif, autrement dit en assignant au médecin les actes médicaux et
chirurgicaux et aux infirmiers les soins infirmiers. Transposée dans le domaine
économique, cette théorie comporte une double conséquence : la libéralisation
des échanges d’une part, et la spécialisation dans la production d’autre part.
Tel est le credo et la raison d’être de la mondialisation.
Aussi les politiques doivent-ils s’employer à
supprimer tarifs douaniers, quotas et autres subventions étatiques qui ne
peuvent s’expliquer que par des considérations politiques liées à la défense, à
la souveraineté, etc. C’est effectivement pour des raisons stratégiques que
telle monarchie pétrolière arabe s’acharne à produire du blé en pure perte pour
assurer son autosuffisance dans l’éventualité d’une guerre. Mais qui ne voit, dès
lors, que le mondialisme s’accorde subrepticement ce qu’il aspire à démontrer ?
Car sa logique suppose d’une part que les hommes politiques sont les intendants
des désirs des consommateurs, qu’ils sont préposés à la seule satisfaction de
leurs besoins économiques ; et d’autre part, que le bien commun auquel est ordonné la société n’a d’autre critère que l’économie.
Par une inversion des choses, l’économique se subordonne le politique tandis
que pour Aristote, la science suprême et architectonique par excellence, c’est
la Politique dans la dépendance de laquelle se trouvent les sciences les plus
honorées, telles que la science militaire, l’économique et la rhétorique (Ethique à Nicomaque, I).
A l’intention de nos politiques assaillis par
les promesses de la mondialisation, nous osons rappeler que le souci du bien commun doit savoir prendre en
considération tous les intérêts en présence. Le dépeuplement de nos campagnes
et le casse-tête que constitue l’émigration de nos jeunes qu’on n’arrive plus à
retenir, concernent tout autant le bien
commun que l’intérêt du consommateur à avoir le meilleur produit au
meilleur prix, si éminent soit-il. Je dirais même que l’enracinement dans leurs
terres, de nos paysans et des populations de nos campagnes, est un objectif
hautement stratégique pour la défense du territoire et l’équilibre démographique.
Saint-Exupéry
rapporte ce dialogue entre un homme attaché à sa terre et un déraciné : « Tu
pars ? – Oui. – Pour où ? – Pour Melbourne. – Comme tu seras loin !
– Loin d’où ? » Commentaire de Gustave Thibon : « En effet,
il n’y a pas de distance pour le déraciné. Il n’est loin de rien. Mais par
contrecoup, il n’est lié à rien : le mot de prochain n’a plus de sens pour lui [...] C’est très beau d’être
citoyen du monde, mais il faut commencer par ne pas être apatride. »
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