samedi 2 mars 2019

Réponse à Cheikh Naïm Kassem Secrétaire général adjoint du Hezbollah


Réponse à Cheikh Naïm Kassem
Secrétaire général adjoint du Hezbollah


Au cours d’un entretien télévisé sur la chaîne Mayadeen diffusé fin novembre dernier, dont la MTV Lebanon a repris quelques extraits, le numéro deux du Hezbollah, Cheikh Naïm Kassem déclare :

« En tant que musulman, je ne peux me dire tel et proposer l’islam comme projet, que je ne propose conjointement l’instauration d’un Etat islamique comme partie intégrante du projet auquel nous adhérons sur le double plan doctrinal et culturel. »

Il ajoute :

« Je ne suis pas fondé au titre de l’islam à imposer aux autres (sic pour les non-musulmans) ma religion ou l’Etat auquel je crois… »

Je laisse aux docteurs de l’islam le soin de discuter de telles assertions. Mais que l’uléma Naïm Kassem prétende, un peu plus loin, que 

« la création d’un Etat islamique ne s’oppose pas plus à la religion chrétienne qu’à la religion juive, l’une et l’autre ayant trait à la sphère religieuse à l’exclusion de la sphère politique... »,

Voilà qui appelle un certain nombre de mises au point :

1. Cheikh Naïm Kassem ne peut pas ignorer que l’Ancien Testament réglementait l’ordre social du peuple juif. La Torah Biblique renferme des textes chargés d’un contenu juridique, que saint Thomas d’Aquin appelle « judicialia ». Parmi ces préceptes, on trouve notamment la loi du talion, la lapidation des femmes adultères, le lévirat, la prohibition de l’inceste, la condamnation de l’usure (entendu au sens originel de prêt à intérêt), le partage des tribus, l’organisation de la royauté davidique. A quoi ressortiraient tous ces préceptes sinon au temporel ?

2. Certes, avec l’avènement du Christ, la Loi Nouvelle a frappé d’obsolescence tous ces « judicialia » ; certes la religion chrétienne, avec son invention de la notion de laïcité du droit et de la politique, a introduit une distinction entre le religieux et le politique ; certes il convient donc de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui revient à Dieu ; ce n’est pas pour cela que le christianisme s’en est remis si peu que ce soit à l’islam ou à aucune autre religion du soin de gérer le temporel des chrétiens.

« Or l’islam, poursuit Kassem, garantit intégralement aux chrétiens et aux juifs la pratique de leur religion en tant que gens du Livre, ainsi que l’usage de leurs rites comme ils l’entendent »

A entendre Cheikh Naim Kassem, on serait tenté de croire que les chrétiens n’ont d’autre aspiration en tant que chrétiens que de pratiquer leur culte et leurs rites, dont l’islam leur garantit le droit ; que les chrétiens sont des sujets désincarnés, se désintéressant totalement du droit et de la politique, n’ayant vocation qu’à la prière et à la méditation, juste bons à être de loyaux dhimmis s’acquittant honnêtement de leurs impôts.

Que non pas, Votre Eminence ! Vous entendez mal le sens que donnent les chrétiens à la laïcité de l’Etat. Cette notion introduite par le christianisme, est venue remettre à l’honneur la raison humaine. Si la religion chrétienne reconnaît au pouvoir temporel une autonomie dans son registre, ce n’est pas par désintérêt, mépris ou condescendance, mais parce qu’elle reconnaît au droit un rôle unificateur. Ayant pour objectif de donner leur dû à des hommes de confessions différentes, le droit ne peut se fonder que sur des raisons accessibles à tous, et non spécifiquement chrétiennes. Ce n’est pas tout. Il est une autre raison de s’en remettre à l’esprit humain, à la raison naturelle commune, commune à tous, chrétiens et non chrétiens. Tout comme les choses de la nature et les rapports qu’il est censé régir entre les hommes, variables en fonction des circonstances, du temps et du lieu, le droit lui-même est muable et changeant et ne saurait être fixé une fois pour toutes.

Last but not least, au sens chrétien, la Loi surnaturelle n’est pas venue abolir ou remplacer la loi morale naturelle mais la compléter, mais l’accomplir, mais la parfaire. Aussi une loi humaine qui serait contraire à la nature serait ipso facto contraire à la loi surnaturelle et sujette à être condamnée par l’Eglise. La religion chrétienne ne peut en aucun cas abdiquer son rôle de censeur de la politique et du droit. S’interdit-elle de légiférer en des matières qui ne sont pas de son ressort, l’Eglise se fait en revanche un devoir d’exercer un tri parmi les dispositions du législateur afin de condamner celles des lois humaines qui contredirait la loi morale naturelle et compromettrait du même coup le salut des âmes.

Subsidiairement, qu’il me soit permis de rappeler à tous les contempteurs primaires du confessionnalisme au Liban, que le dit système a été imaginé et conçu pour légitimer l’accès à la politique des non-musulmans qui ne peuvent se satisfaire du seul statut que l’islam politique leur autorise, le statut de dhimmis ou citoyen de seconde zone. Que comme la langue d’Esope, l’argent ou le pouvoir, le confessionnalisme peut se prêter au bon comme au mauvais usage. Que ce système ait été adultéré et perverti, ce n’est pas à lui d’en faire un crime mais aux abus des gouvernants sans foi ni loi qui se sont succédé au pouvoir et l’ont dévoyé.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais je m’en tiens à ces quelques observations que je pourrai augmenter et développer si cheikh Naim Kassem devait m’en donner à nouveau l’occasion.

17 janvier 2019
Carlos HAGE CHAHINE

Peine de mort. Réponse au pape François


Peine de mort
Réponse au pape François


Aux membres de la Commission internationale contre la peine de mort reçus le 17 décembre 2018, le pape François réaffirme son ferme engagement contre ce châtiment. « La certitude, dit-il, que chaque vie est sacrée et que la dignité humaine doit être cultivée sans exceptions, m’a poussé, depuis le début de mon ministère, à travailler à différents niveaux pour l’abolition universelle de la peine de mort ». Le pontife romain ajoute : « Cette peine est contraire à l’Evangile car elle implique de supprimer une vie qui est toujours sacrée aux yeux du Créateur, et de laquelle seul Dieu est vrai juge et garant ». Et, plus loin : « On ne peut enlever à personne ni sa vie ni l’espérance de la rédemption et de la réconciliation. »

J’ose dire, et je n’ai pas peur des mots, que la hiérarchie officielle de l’Eglise catholique contemporaine a été incapable de concilier deux principes apparemment contradictoires : d’une part, « la primauté du bien commun contre les personnalistes », corrélatif à la primauté du tout par rapport à la partie, et, d’autre part, cette vérité rappelée dans l’encyclique « Divini Redemptoris » de Pie XI, que « la Cité est pour l’homme, et non l’homme pour la Cité ».

Pour nous sortir de cet antagonisme apparent, une seule clé : la hiérarchie des biens communs. L’existence humaine est insérée dans un réseau de « touts » divers et hiérarchisés. Individu, membre d’une famille, citoyen civil, citoyen du monde, citoyen céleste, l’homme est ordonné à une hiérarchie de biens communs et ne saurait se borner au seul bien de la société. Chaque homme appartient à deux cités : une cité terrestre ayant pour fin le bien commun temporel, et la cité de Dieu, un tout supérieur au tout de la cité, qui a pour fin ultime la vie éternelle.

Aussi la primauté de la personne est à lire à la lumière du principe de totalité : « La Cité est pour l’homme en ce que l’homme est PARTIE D’UN AUTRE TOUT, un tout supérieur au tout de la cité » (Jean Madiran, Le Principe de totalité, p. 65). Ainsi chaque personne est tenue comme individu membre de la cité de sacrifier sa vie, au besoin, pour la cité. Car c’est uniquement par sa destinée surnaturelle que la personne est moralement supérieure à la cité. La nation, dit Madiran, ne demande au citoyen que le sacrifice de son existence temporelle, elle n’exige pas de lui qu’il lui sacrifie son âme et son salut éternel.

Aussi longtemps que l’Eglise conciliaire sera prisonnière du culte de l’homme et de la philosophie anthropocentriste sous-jacente à sa théologie, sa hiérarchie officielle, avec le pape François à sa tête, témoigneront d’un véritable embrouillement du naturel et du surnaturel.

Carlos Hage Chahine
24 septembre 2018