Réponse à Cheikh Naïm Kassem
Secrétaire général adjoint du Hezbollah
Au cours d’un
entretien télévisé sur la chaîne Mayadeen diffusé fin novembre dernier, dont la
MTV Lebanon a repris quelques extraits, le numéro deux du Hezbollah, Cheikh
Naïm Kassem déclare :
« En tant
que musulman, je ne peux me dire tel et proposer l’islam comme projet, que je
ne propose conjointement l’instauration d’un Etat islamique comme partie
intégrante du projet auquel nous adhérons sur le double plan doctrinal et
culturel. »
Il ajoute :
« Je ne
suis pas fondé au titre de l’islam à imposer aux autres (sic pour les non-musulmans) ma religion ou l’Etat auquel je
crois… »
Je laisse aux
docteurs de l’islam le soin de discuter de telles assertions. Mais que l’uléma
Naïm Kassem prétende, un peu plus loin, que
« la
création d’un Etat islamique ne s’oppose pas plus à la religion chrétienne qu’à
la religion juive, l’une et l’autre ayant trait à la sphère religieuse à
l’exclusion de la sphère politique... »,
Voilà qui
appelle un certain nombre de mises au point :
1. Cheikh Naïm
Kassem ne peut pas ignorer que l’Ancien Testament réglementait l’ordre social
du peuple juif. La Torah Biblique renferme des textes chargés d’un
contenu juridique, que saint Thomas d’Aquin appelle « judicialia ».
Parmi ces préceptes, on trouve notamment la loi du talion, la lapidation des
femmes adultères, le lévirat, la prohibition de l’inceste, la condamnation de
l’usure (entendu au sens originel de prêt à intérêt), le partage des tribus,
l’organisation de la royauté davidique. A quoi ressortiraient tous ces
préceptes sinon au temporel ?
2. Certes, avec
l’avènement du Christ, la Loi Nouvelle a frappé d’obsolescence tous ces « judicialia » ;
certes la religion chrétienne, avec son invention de la notion de laïcité du
droit et de la politique, a introduit une distinction entre le religieux et le
politique ; certes il convient donc de rendre à César ce qui est à César et
à Dieu ce qui revient à Dieu ; ce n’est pas pour cela que le christianisme
s’en est remis si peu que ce soit à l’islam ou à aucune autre religion du soin
de gérer le temporel des chrétiens.
« Or
l’islam, poursuit Kassem, garantit intégralement
aux chrétiens et aux juifs la pratique de leur religion en tant que gens du
Livre, ainsi que l’usage de leurs rites comme ils l’entendent »
A entendre Cheikh
Naim Kassem, on serait tenté de croire que les chrétiens n’ont d’autre
aspiration en tant que chrétiens que de pratiquer leur culte et leurs rites, dont
l’islam leur garantit le droit ; que les chrétiens sont des sujets
désincarnés, se désintéressant totalement du droit et de la politique, n’ayant
vocation qu’à la prière et à la méditation, juste bons à être de loyaux dhimmis
s’acquittant honnêtement de leurs impôts.
Que non pas, Votre
Eminence ! Vous entendez mal le sens que donnent les chrétiens à la
laïcité de l’Etat. Cette notion introduite par le christianisme, est venue
remettre à l’honneur la raison humaine. Si la religion chrétienne
reconnaît au pouvoir temporel une autonomie dans son registre, ce n’est pas par
désintérêt, mépris ou condescendance, mais parce qu’elle reconnaît au droit un
rôle unificateur. Ayant pour objectif de donner leur dû à des hommes de
confessions différentes, le droit ne peut se fonder que sur des raisons
accessibles à tous, et non spécifiquement chrétiennes. Ce n’est pas tout. Il
est une autre raison de s’en remettre à l’esprit humain, à la raison naturelle commune,
commune à tous, chrétiens et non chrétiens. Tout comme les choses de la nature
et les rapports qu’il est censé régir entre les hommes, variables en fonction
des circonstances, du temps et du lieu, le droit lui-même est muable et
changeant et ne saurait être fixé une fois pour toutes.
Last but not
least, au sens chrétien, la Loi surnaturelle
n’est pas venue abolir ou remplacer la loi morale naturelle mais la compléter,
mais l’accomplir, mais la parfaire. Aussi une loi humaine qui serait contraire
à la nature serait ipso facto contraire à la loi surnaturelle et sujette
à être condamnée par l’Eglise. La religion chrétienne ne peut en aucun cas abdiquer
son rôle de censeur de la politique et du droit. S’interdit-elle de légiférer
en des matières qui ne sont pas de son ressort, l’Eglise se fait en revanche un
devoir d’exercer un tri parmi les dispositions du législateur afin de condamner
celles des lois humaines qui contredirait la loi morale naturelle et compromettrait
du même coup le salut des âmes.
Subsidiairement,
qu’il me soit permis de rappeler à tous les contempteurs primaires du
confessionnalisme au Liban, que le dit système a été imaginé et conçu pour légitimer
l’accès à la politique des non-musulmans qui ne peuvent se satisfaire du seul
statut que l’islam politique leur autorise, le statut de dhimmis ou citoyen de
seconde zone. Que comme la langue d’Esope, l’argent ou le pouvoir, le
confessionnalisme peut se prêter au bon comme au mauvais usage. Que ce système
ait été adultéré et perverti, ce n’est pas à lui d’en faire un crime mais aux
abus des gouvernants sans foi ni loi qui se sont succédé au pouvoir et l’ont
dévoyé.
Il y aurait
beaucoup à dire sur ce sujet, mais je m’en tiens à ces quelques observations
que je pourrai augmenter et développer si cheikh Naim Kassem devait m’en donner
à nouveau l’occasion.
17 janvier 2019
Carlos HAGE
CHAHINE