La dialectique révolutionnaire à nu (II)
L’Orient-Le Jour
Jeudi 22 octobre
2009 N°12698
L’enseignement de la théorie dialectique
marxiste-léniniste n’avait pas pour but de former des professeurs qui formeront
à leur tour d’autres professeurs et ainsi de suite. « La théorie marxiste,
explique Jean Madiran, a eu pour but, avec Lénine, de former des
“révolutionnaires professionnels” ayant non pas à enseigner la dialectique
selon Marx mais à la pratiquer selon les consignes du parti ; et à la
faire pratiquer même par ceux qui n’en ont jamais entendu parler. » (La
Vieillesse du monde, DMM, 1975, p. 108).
[« et à la faire pratiquer même par ceux qui
n’en ont jamais entendu parler »]. C’est-à-dire ceux que les
communistes appelaient les « caisses de résonance » et que Lénine
gratifiait du sobriquet d’« idiots utiles », en remerciement des
services rendus. Toute ressemblance avec des personnes issues de notre paysage
politique libanais serait bien sûr, selon la formule consacrée, pure
coïncidence.
« La domination qui s’étendait ainsi, poursuit
Jean Madiran, n’était pas celle d’un courant d’idées mais celle d’une technique
sociologique mise en oeuvre par un appareil mondial de type militaire et à
direction clandestine ».
[« Appareil (local et régional sinon
mondial) de type militaire et à direction clandestine »]. Cela fait
fortement penser aux structures du Hezbollah.
La dialectique marxiste a vidé de leur sens les
critères traditionnels du vrai et du faux, du juste et de l’injuste, du bien et
du mal. « Le marxisme-léninisme, écrit encore Madiran, [...] ne se soumet
plus à une réalité objective du bien, du juste, du vrai : il a domestiqué
et instrumentalisé ces concepts, dont l’ancienne souveraineté a été remplacée
par celle des notions d’avant et d’après, de passé et d’avenir,
d’ancien et de nouveau, de négatif et de positif.
Est négatif et contraire au progrès ce qui vient du passé et qui est supposé
dépérir ; est positif ce qui se développe dans le sens de l’avenir et de
la révolution. La formule communiste : « la vérité est toujours
révolutionnaire » signifie pour les lénino-trotskistes que ce qui
n’est pas révolutionnaire n’est pas vrai (ni juste, ni bien). »
Il suffit de remplacer les termes avant, passé,
ancien, négatif par le terme anti-résistance, et les termes après,
avenir, nouveau, positif par le terme pro-résistance,
pour comprendre les ressorts de la dialectique hezbollahie et vérifier le degré
d’analogie avec la dialectique marxiste-léniniste. Selon les critères définis
par le parti de Dieu, sera bannie et interdite de tout droit de cité toute
attitude hostile à la « résistance » ; licite en revanche
tout ce qui lui est favorable. La « résistance » apparaît
comme la mesure des choses ; tout est mesuré par elle, elle n’est
mesurée par rien.
S’il en est ainsi, on comprend mieux pourquoi une
critique philosophique de la théorie dialectique, même si elle est
philosophiquement facile, serait réellement hors de propos. Charles de Koninck
en a exposé la raison. Parlant de la théorie
dialectique : « Nous saurions bien, dit-il, indiquer des erreurs
‘techniques’ [...] Mais qui ne voit que ces critiques ne pourraient atteindre
ces philosophies dans leur racine. C’est que nous n’avons pas affaire à des
erreurs purement accidentelles de la pensée dans son évolution vers une vérité
toujours plus ample, comme c’était le cas de la sagesse antique. Ces erreurs
ont leur racine dans l’appétit [c’est nous qui soulignons]. La force
pratique avec laquelle ces auteurs et leurs disciples adhèrent à leurs erreurs,
ne peut s’expliquer que par un amour de ces erreurs puissant comme la mort »
(op. cit., pp. 117-118).
Madiran abonde dans le même sens : « Le
marxisme, dit-il, est d’une grossièreté philosophique qui s’accroît encore dans
l’“orthodoxie officielle” qu’en présente le communisme » (op. cit.
p. 107). Ici le problème n’est pas doctrinal. Car « il n’est pas une
séduction au niveau de l’intelligence. Il est la formulation intellectuelle
d’une tentation au niveau de la volonté » (ibid.). Avec lui, il ne
s’agit pas d’une erreur ; l’erreur est une défaillance de
l’intelligence dans sa quête de la vérité. « La théorie dialectique n’est
pas un accident de la recherche de la vérité, elle est le contraire de la
vérité. » Le contraire de la vérité, c’est le mensonge, c’est-à-dire une
révolte de la volonté refusant la vérité. « Il ne relève pas de la
critique philosophique, mais de la conversion du coeur. » (op. cit. p. 89). D’où la conclusion de Koninck que « la sagesse philosophique est
ici impuissante » (impuissante non pas à réfuter, mais à convaincre).
Cette clef de lecture visait bien sûr le
communisme, c’est-à-dire cette pratique marxiste-léniniste parvenue à son point
de perfectionnement avec Staline. Le communisme a peut-être été brisé en
1989 ; et interrompu son élan vers la domination mondiale. Mais il a créé
des méthodes qui ont fait tache d’huile, installé des conditionnements mentaux
qui survivent à l’installateur et constituent une source d’inspiration pour les
nouvelles générations de révolutionnaires. Nous en avons énuméré quelques-uns
uns d’une liste qui ne fait que s’allonger. Les procès de type stalinien
retransmis tout récemment par la télévision iranienne sont là pour nous le
rappeler. L’agitation du spectre d’une guerre civile à l’ombre et sous la
menace d’une guerre israélienne toujours probable, avec ce qu’elle sous-entend
comme épuration contre les « traîtres » et « ennemis de
l’intérieur », descend en droit fil de la guerre civile infusée, selon le
commandement léniniste, dans la guerre étrangère. Jusqu’au concept de
« déshérités » transpire la lutte de classe. Alors ? Alors il
importe de dénoncer le mensonge. Face à la mauvaise foi caractérisée d’une
opposition manipulée par le Hezbollah ; face au déferlement de
contrevérités dont elle nous abreuve régulièrement, comment ne pas être tenté
par cette clef de lecture pour rendre compte de l’expansion et de la
dialectique révolutionnaires de ce parti ?
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