vendredi 9 janvier 2015

La dialectique révolutionnaire à nu (II)


La dialectique révolutionnaire à nu (II)
L’Orient-Le Jour
Jeudi 22 octobre 2009 N°12698

L’enseignement de la théorie dialectique marxiste-léniniste n’avait pas pour but de former des professeurs qui formeront à leur tour d’autres professeurs et ainsi de suite. « La théorie marxiste, explique Jean Madiran, a eu pour but, avec Lénine, de former des “révolutionnaires professionnels” ayant non pas à enseigner la dialectique selon Marx mais à la pratiquer selon les consignes du parti ; et à la faire pratiquer même par ceux qui n’en ont jamais entendu parler. » (La Vieillesse du monde, DMM, 1975, p. 108).

[« et à la faire pratiquer même par ceux qui n’en ont jamais entendu parler »]. C’est-à-dire ceux que les communistes appelaient les « caisses de résonance » et que Lénine gratifiait du sobriquet d’« idiots utiles », en remerciement des services rendus. Toute ressemblance avec des personnes issues de notre paysage politique libanais serait bien sûr, selon la formule consacrée, pure coïncidence.

« La domination qui s’étendait ainsi, poursuit Jean Madiran, n’était pas celle d’un courant d’idées mais celle d’une technique sociologique mise en oeuvre par un appareil mondial de type militaire et à direction clandestine ».

[« Appareil (local et régional sinon mondial) de type militaire et à direction clandestine »]. Cela fait fortement penser aux structures du Hezbollah.

La dialectique marxiste a vidé de leur sens les critères traditionnels du vrai et du faux, du juste et de l’injuste, du bien et du mal. « Le marxisme-léninisme, écrit encore Madiran, [...] ne se soumet plus à une réalité objective du bien, du juste, du vrai : il a domestiqué et instrumentalisé ces concepts, dont l’ancienne souveraineté a été remplacée par celle des notions d’avant et d’après, de passé et d’avenir, d’ancien et de nouveau, de négatif et de positif. Est négatif et contraire au progrès ce qui vient du passé et qui est supposé dépérir ; est positif ce qui se développe dans le sens de l’avenir et de la révolution. La formule communiste : « la vérité est toujours révolutionnaire » signifie pour les lénino-trotskistes que ce qui n’est pas révolutionnaire n’est pas vrai (ni juste, ni bien). »

Il suffit de remplacer les termes avant, passé, ancien, négatif par le terme anti-résistance, et les termes après, avenir, nouveau, positif par le terme pro-résistance, pour comprendre les ressorts de la dialectique hezbollahie et vérifier le degré d’analogie avec la dialectique marxiste-léniniste. Selon les critères définis par le parti de Dieu, sera bannie et interdite de tout droit de cité toute attitude hostile à la « résistance » ; licite en revanche tout ce qui lui est favorable. La « résistance » apparaît comme la mesure des choses ; tout est mesuré par elle, elle n’est mesurée par rien.

S’il en est ainsi, on comprend mieux pourquoi une critique philosophique de la théorie dialectique, même si elle est philosophiquement facile, serait réellement hors de propos. Charles de Koninck en a exposé la raison. Parlant de la théorie dialectique : « Nous saurions bien, dit-il, indiquer des erreurs ‘techniques’ [...] Mais qui ne voit que ces critiques ne pourraient atteindre ces philosophies dans leur racine. C’est que nous n’avons pas affaire à des erreurs purement accidentelles de la pensée dans son évolution vers une vérité toujours plus ample, comme c’était le cas de la sagesse antique. Ces erreurs ont leur racine dans l’appétit [c’est nous qui soulignons]. La force pratique avec laquelle ces auteurs et leurs disciples adhèrent à leurs erreurs, ne peut s’expliquer que par un amour de ces erreurs puissant comme la mort » (op. cit., pp. 117-118).

Madiran abonde dans le même sens : « Le marxisme, dit-il, est d’une grossièreté philosophique qui s’accroît encore dans l’“orthodoxie officielle” qu’en présente le communisme » (op. cit. p. 107). Ici le problème n’est pas doctrinal. Car « il n’est pas une séduction au niveau de l’intelligence. Il est la formulation intellectuelle d’une tentation au niveau de la volonté » (ibid.). Avec lui, il ne s’agit pas d’une erreur ; l’erreur est une défaillance de l’intelligence dans sa quête de la vérité. « La théorie dialectique n’est pas un accident de la recherche de la vérité, elle est le contraire de la vérité. » Le contraire de la vérité, c’est le mensonge, c’est-à-dire une révolte de la volonté refusant la vérité. « Il ne relève pas de la critique philosophique, mais de la conversion du coeur. » (op. cit. p. 89). D’où la conclusion de Koninck que « la sagesse philosophique est ici impuissante » (impuissante non pas à réfuter, mais à convaincre).

Cette clef de lecture visait bien sûr le communisme, c’est-à-dire cette pratique marxiste-léniniste parvenue à son point de perfectionnement avec Staline. Le communisme a peut-être été brisé en 1989 ; et interrompu son élan vers la domination mondiale. Mais il a créé des méthodes qui ont fait tache d’huile, installé des conditionnements mentaux qui survivent à l’installateur et constituent une source d’inspiration pour les nouvelles générations de révolutionnaires. Nous en avons énuméré quelques-uns uns d’une liste qui ne fait que s’allonger. Les procès de type stalinien retransmis tout récemment par la télévision iranienne sont là pour nous le rappeler. L’agitation du spectre d’une guerre civile à l’ombre et sous la menace d’une guerre israélienne toujours probable, avec ce qu’elle sous-entend comme épuration contre les « traîtres » et « ennemis de l’intérieur », descend en droit fil de la guerre civile infusée, selon le commandement léniniste, dans la guerre étrangère. Jusqu’au concept de « déshérités » transpire la lutte de classe. Alors ? Alors il importe de dénoncer le mensonge. Face à la mauvaise foi caractérisée d’une opposition manipulée par le Hezbollah ; face au déferlement de contrevérités dont elle nous abreuve régulièrement, comment ne pas être tenté par cette clef de lecture pour rendre compte de l’expansion et de la dialectique révolutionnaires de ce parti ?

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