Pouvoir et Révolution
L’Orient-Le Jour
Samedi 31 mars 2007
Le déploiement de l’armée libanaise et de la Finul
dans le sud du Liban sur la frontière israélo-libanaise au lendemain de la
guerre de juillet dernier, a dépossédé le Hezbollah - pour combien de
temps ? - de la carte maîtresse de la Résistance au nom de laquelle il
bénéficiait de pouvoirs exorbitants sans partage et d’un régime de faveurs sans
pareils. Cela explique sans doute la détermination et la rage avec lesquelles
il mène depuis plusieurs semaines une offensive en règle contre la majorité au
pouvoir. Par son action il escompterait, dans la meilleure des hypothèses,
engranger les dividendes politiques de la Résistance mythique que ses
combattants ont opposée non sans succès aux Israéliens et, dans la pire, faire
une OPA agressive sur l’Etat libanais pour le saborder. La nature ayant horreur
du vide, l’Etat-Hezbollah seul resté debout et en état de fonctionnement
remplacera l’ancien. Ce scénario catastrophe peut paraître exagéré. Il a le
mérite de poser avec un relief particulier la question du pouvoir et de sa
légitimité, sévèrement mis à mal et en cause par l’opposition contestataire, et
de juger à l’aune des révolutions la contestation actuelle.
Qu’est-ce
que la légitimité ?
Ce n’est pas le lieu, dans ces colonnes, de faire
une dissertation académique sur le pouvoir et la légitimité, qui dépasserait
largement le cadre de cette tribune. Mais une mise au point relevant de la
philosophie politique a été rendue nécessaire par les dernières déclarations du
Patriarche maronite dans lesquelles il nous a semblé renvoyer dos à dos les deux
camps, reprochant aux uns et aux autres leur entêtement. Nous observerons tout
d’abord que l’appel retenu dans la bouche du chef de l’Etat et de quelques
comparses, à la désobéissance civile, est le plus bel hommage rendu au
gouvernement par les contestataires, en tant qu’il constitue l’aveu par ces
derniers que l’effectivité du pouvoir est détenue et incarnée par l’actuel
Gouvernement. Gouvernement qui est issu d’un Parlement régulièrement élu et, au
demeurant, le plus régulièrement depuis des lustres. Aussi à moins d’avoir ses
raisons dont il est seul, au poste où il est, à pouvoir apprécier en
situation le bien-fondé et la portée, la distanciation du Patriarche
maronite à l’égard du pouvoir est pour le moins déroutante et tranche avec ses
prises de position courageuses et sans complaisance sous et contre la tutelle
syrienne. Sous réserve de ces considérations que nous lui accordons
révérencieusement, il n’y a pas de place, croyons-nous, pour la neutralité dans
la lutte que se livrent pouvoir et opposition contestataire. L’obéissance
à l’autorité est un devoir moral en tant qu’elle émane de Dieu. Selon
l’enseignement de l’Eglise catholique, l’autorité procède de Dieu immédiatement,
dans l’ordre spirituel, par le canal de la grâce ; et médiatement,
dans l’ordre temporel, selon les lois de la nature. Cette distinction entre les
deux ordres est le fondement de l’autonomie de l’Etat dans un régime de
saine laïcité.
Mais obéissance ne signifie pas inconditionnalité ou
soumission servile. La question qui nous préoccupe dès lors est de savoir si
l’opposition contestataire est fondée à tirer argument d’une prétendue
violation de la Constitution pour dénier au pouvoir en place sa légitimité,
pour bloquer le fonctionnement des institutions, et pour agiter de manière
récurrente la menace de désobéissance civile.
Summum
jus
Du président de la République au plus petit parti
politique en passant par le Hezbollah, le président de l’Assemblée et le
Courant Patriotique Libre, l’opposition multiforme fait depuis des semaines
assaut de légalisme en se réclamant de l’orthodoxie constitutionnelle qu’elle
assure vouloir défendre avec la dernière énergie. Que faut-il penser de ce
regain de légalisme ? Car le légalisme en tant que tel n’est pas pour nous
déplaire si ce n’est qu’il émane de forces suspectées de putschisme. Nous
laisserons aux constitutionnalistes le soin d’y répondre en
constitutionnalistes. Nous y répondrons pour notre part sous le rapport de la
philosophie du droit. En faisant litière de la loi et de la Constitution, le
Hezbollah, véritable Etat dans l’Etat et société dans la société, est malvenu à
voler au secours d’une Constitution libanaise supposée outragée par le pouvoir.
Pour ce qui est des autres composantes de l’opposition, force est de constater
que le légalisme est utilisé comme une arme contre la loi. Et contre l’esprit
de la Constitution est utilisé leur attachement à sa lettre. A l’évidence - le
ministre belge des Affaires étrangères - vient de nous le rappeler : sauf
à le désessencier, un Parlement est fait pour se réunir, pour
délibérer et pour voter. Le blocage qui frappe nos institutions nous rappelle
invinciblement l’adage romain summum jus, summa injuria (Cicéron, De
Officiis, I, § 33) : excès de justice, excès d’injustice (selon
la traduction des pages roses du Larousse). Les Romains ne faisaient que
traduire dans leurs institutions l’influence de la philosophie grecque et
notamment l’enseignement d’Aristote en matière d’équité. Le romaniste Robert
Villers explique : « Dans le domaine de l’interprétation, le droit
le plus rigoureusement observé peut conduire à la plus grande injustice.
Aristote en effet avait dit que l’équité doit entrer en action toutes les fois
que dans ses résultats le droit agirait contre lui-même » (Villers, Rome
et le droit privé, Paris, 1977, p. 99, et pour l’équité chez Aristote, voir
son Ethique à Nicomaque, trad. Tricot, Livre V, 14).
En pensant à l’équité corrective et à l’adage summum
jus, Aristote et les Romains pensaient au pharisaïsme juridique et à
l’injustice pouvant naître d’une interprétation trop littérale de la loi. Ils
n’avaient pas en vue l’exploitation vicieuse qu’en feraient des contestataires
impatients de faire plier par tous les moyens, sinon renverser, le
Gouvernement.
Praxis
révolutionnaire
Les protestations d’attachement à la démocratie
parlementaire libanaise, dont l’opposition nous rebat les oreilles, ne sont que
des pétitions de principe. C’est-à-dire que l’opposition affirme ce qu’on
attend d’elle qu’elle démontre. Nous voulons bien la croire mais sous bénéfice
d’inventaire. A en juger par ses agissements et ceux de ses alliés, il y a tout
lieu de réserver son diagnostic. Nous la jugerons donc sur pièces, confrontant
sa pratique avec la praxis communiste. Pourquoi avec la pratique ?
Parce que la Révolution communiste, dit Pie XI, doit sa propagation non pas à
la force et à la séduction de sa doctrine mais à son organisation et à sa
propagande. Pourquoi communiste ? Parce que la Révolution
communiste a été le prototype des révolutions du 20e siècle. Et que
la pratique révolutionnaire communiste élevée au rang de doctrine se
résume en quelques mots : la fin justifie les moyens. Tous les moyens sont
bons. Et pour parvenir à leurs fins, « les communistes, dit le
philosophe canadien Charles de Koninck, ne tiennent pas parole et font
seulement ce qui fait leur affaire ; ils érigent en système le mensonge et
le chantage, la calomnie, la déformation du passé ; ils entreprennent avec
méthode et sans merci la liquidation de personnes… Tant et si bien qu’on ne peut
plus les croire et qu’ils ont détruit cette bonne foi dont Cicéron disait
qu’elle est le fondement de toute conversation humaine, de toute
société ».
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