vendredi 9 janvier 2015

Pouvoir et Révolution


Pouvoir et Révolution
L’Orient-Le Jour
Samedi 31 mars 2007

Le déploiement de l’armée libanaise et de la Finul dans le sud du Liban sur la frontière israélo-libanaise au lendemain de la guerre de juillet dernier, a dépossédé le Hezbollah - pour combien de temps ? - de la carte maîtresse de la Résistance au nom de laquelle il bénéficiait de pouvoirs exorbitants sans partage et d’un régime de faveurs sans pareils. Cela explique sans doute la détermination et la rage avec lesquelles il mène depuis plusieurs semaines une offensive en règle contre la majorité au pouvoir. Par son action il escompterait, dans la meilleure des hypothèses, engranger les dividendes politiques de la Résistance mythique que ses combattants ont opposée non sans succès aux Israéliens et, dans la pire, faire une OPA agressive sur l’Etat libanais pour le saborder. La nature ayant horreur du vide, l’Etat-Hezbollah seul resté debout et en état de fonctionnement remplacera l’ancien. Ce scénario catastrophe peut paraître exagéré. Il a le mérite de poser avec un relief particulier la question du pouvoir et de sa légitimité, sévèrement mis à mal et en cause par l’opposition contestataire, et de juger à l’aune des révolutions la contestation actuelle.

Qu’est-ce que la légitimité ?

Ce n’est pas le lieu, dans ces colonnes, de faire une dissertation académique sur le pouvoir et la légitimité, qui dépasserait largement le cadre de cette tribune. Mais une mise au point relevant de la philosophie politique a été rendue nécessaire par les dernières déclarations du Patriarche maronite dans lesquelles il nous a semblé renvoyer dos à dos les deux camps, reprochant aux uns et aux autres leur entêtement. Nous observerons tout d’abord que l’appel retenu dans la bouche du chef de l’Etat et de quelques comparses, à la désobéissance civile, est le plus bel hommage rendu au gouvernement par les contestataires, en tant qu’il constitue l’aveu par ces derniers que l’effectivité du pouvoir est détenue et incarnée par l’actuel Gouvernement. Gouvernement qui est issu d’un Parlement régulièrement élu et, au demeurant, le plus régulièrement depuis des lustres. Aussi à moins d’avoir ses raisons dont il est seul, au poste où il est, à pouvoir apprécier en situation le bien-fondé et la portée, la distanciation du Patriarche maronite à l’égard du pouvoir est pour le moins déroutante et tranche avec ses prises de position courageuses et sans complaisance sous et contre la tutelle syrienne. Sous réserve de ces considérations que nous lui accordons révérencieusement, il n’y a pas de place, croyons-nous, pour la neutralité dans la lutte que se livrent pouvoir et opposition contestataire. L’obéissance à l’autorité est un devoir moral en tant qu’elle émane de Dieu. Selon l’enseignement de l’Eglise catholique, l’autorité procède de Dieu immédiatement, dans l’ordre spirituel, par le canal de la grâce ; et médiatement, dans l’ordre temporel, selon les lois de la nature. Cette distinction entre les deux ordres est le fondement de l’autonomie de l’Etat dans un régime de saine laïcité.

Mais obéissance ne signifie pas inconditionnalité ou soumission servile. La question qui nous préoccupe dès lors est de savoir si l’opposition contestataire est fondée à tirer argument d’une prétendue violation de la Constitution pour dénier au pouvoir en place sa légitimité, pour bloquer le fonctionnement des institutions, et pour agiter de manière récurrente la menace de désobéissance civile.

Summum jus

Du président de la République au plus petit parti politique en passant par le Hezbollah, le président de l’Assemblée et le Courant Patriotique Libre, l’opposition multiforme fait depuis des semaines assaut de légalisme en se réclamant de l’orthodoxie constitutionnelle qu’elle assure vouloir défendre avec la dernière énergie. Que faut-il penser de ce regain de légalisme ? Car le légalisme en tant que tel n’est pas pour nous déplaire si ce n’est qu’il émane de forces suspectées de putschisme. Nous laisserons aux constitutionnalistes le soin d’y répondre en constitutionnalistes. Nous y répondrons pour notre part sous le rapport de la philosophie du droit. En faisant litière de la loi et de la Constitution, le Hezbollah, véritable Etat dans l’Etat et société dans la société, est malvenu à voler au secours d’une Constitution libanaise supposée outragée par le pouvoir. Pour ce qui est des autres composantes de l’opposition, force est de constater que le légalisme est utilisé comme une arme contre la loi. Et contre l’esprit de la Constitution est utilisé leur attachement à sa lettre. A l’évidence - le ministre belge des Affaires étrangères - vient de nous le rappeler : sauf à le désessencier, un Parlement est fait pour se réunir, pour délibérer et pour voter. Le blocage qui frappe nos institutions nous rappelle invinciblement l’adage romain summum jus, summa injuria (Cicéron, De Officiis, I, § 33) : excès de justice, excès d’injustice (selon la traduction des pages roses du Larousse). Les Romains ne faisaient que traduire dans leurs institutions l’influence de la philosophie grecque et notamment l’enseignement d’Aristote en matière d’équité. Le romaniste Robert Villers explique : « Dans le domaine de l’interprétation, le droit le plus rigoureusement observé peut conduire à la plus grande injustice. Aristote en effet avait dit que l’équité doit entrer en action toutes les fois que dans ses résultats le droit agirait contre lui-même » (Villers, Rome et le droit privé, Paris, 1977, p. 99, et pour l’équité chez Aristote, voir son Ethique à Nicomaque, trad. Tricot, Livre V, 14).

En pensant à l’équité corrective et à l’adage summum jus, Aristote et les Romains pensaient au pharisaïsme juridique et à l’injustice pouvant naître d’une interprétation trop littérale de la loi. Ils n’avaient pas en vue l’exploitation vicieuse qu’en feraient des contestataires impatients de faire plier par tous les moyens, sinon renverser, le Gouvernement.

Praxis révolutionnaire

Les protestations d’attachement à la démocratie parlementaire libanaise, dont l’opposition nous rebat les oreilles, ne sont que des pétitions de principe. C’est-à-dire que l’opposition affirme ce qu’on attend d’elle qu’elle démontre. Nous voulons bien la croire mais sous bénéfice d’inventaire. A en juger par ses agissements et ceux de ses alliés, il y a tout lieu de réserver son diagnostic. Nous la jugerons donc sur pièces, confrontant sa pratique avec la praxis communiste. Pourquoi avec la pratique ? Parce que la Révolution communiste, dit Pie XI, doit sa propagation non pas à la force et à la séduction de sa doctrine mais à son organisation et à sa propagande. Pourquoi communiste ? Parce que la Révolution communiste a été le prototype des révolutions du 20e siècle. Et que la pratique révolutionnaire communiste élevée au rang de doctrine se résume en quelques mots : la fin justifie les moyens. Tous les moyens sont bons. Et pour parvenir à leurs fins, « les communistes, dit le philosophe canadien Charles de Koninck, ne tiennent pas parole et font seulement ce qui fait leur affaire ; ils érigent en système le mensonge et le chantage, la calomnie, la déformation du passé ; ils entreprennent avec méthode et sans merci la liquidation de personnes… Tant et si bien qu’on ne peut plus les croire et qu’ils ont détruit cette bonne foi dont Cicéron disait qu’elle est le fondement de toute conversation humaine, de toute société ».

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Dans son message du 14 décembre 2000, à l’occasion du Congrès pour le 1200e anniversaire du couronnement de Charlemagne, Jean-Paul II fustigeait « la tyrannie des idoles » qui a sévi dans le siècle passé, et s’était « exprimée dans la glorification d’une race, d’une classe, de l’Etat, de la Nation ou du Parti, au lieu de la glorification du Dieu vivant et véritable ». On peut ajouter, sans risque d’erreurs, à la liste des fausses glorifications, celle de la Résistance, des déshérités, des opprimés…

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