Grandeur et déchéance du confessionnalisme libanais
L’Orient-Le
Jour
Mardi 12 mars 2013
Le système confessionnel à la libanaise a de bonne
heure été décrié par les partis idéologiques comme le repoussoir absolu,
l’origine de tous nos maux. Le voilà qui perd aujourd’hui un à un tous ses
appuis. Ses derniers défenseurs se fussent-ils seulement montrés, que
promptement ils eussent été mis en quarantaine. Paradoxalement, avec un curieux
sens de l’à propos, trois grands partis chrétiens viennent de donner leurs
faveurs à un projet de loi électorale soumis par la « Rencontre
orthodoxe » qui, s’il était adopté, aurait immanquablement pour effet de
l’exacerber. Un « mariage civil » célébré ou orchestré au même
moment, vient de relancer les revendications des laïcistes militant pêle-mêle
pour l’abolition du confessionnalisme et l’institution du mariage civil au nom
d’un soi-disant « Etat civil » et de la séparation de la religion et
de l’Etat. Comme si le Liban avait jamais été un Etat théocratique ou gouverné
par des clercs.
Comme la langue d’Esope
Initialement configuré à la nature pluraliste du
Liban, le confessionnalisme avait pour objectif de pallier à la dhimmitude,
sorte de citoyenneté de seconde zone, qui fut pendant des siècles le lot des
minorités chrétiennes. Aux communautés historiques libanaises, il a permis la
participation à part égale au pouvoir. Non point qu’il se fût agi de la
répartir sur base d’une égalité arithmétique simple, mais de la tailler selon
une égalité géométrique, dite aussi égalité de rapports, en proportion de leur
poids et de leur rôle historique dans la formation du Liban. Parce qu’il n’y a
pas d’injustice plus grande, selon Aristote, que de traiter également des
choses inégales.
Or il en est du confessionnalisme comme de la langue
d’Esope, ou du pouvoir, ou même de l’argent. Neutre. Se prêtant à un double
usage. Le mauvais, lequel serait condamnable à l’instar du « nationalisme
exacerbé » ; comme le bon : que resterait-il du pays
« message » sans le système confessionnel qui n’est rien d’autre
qu’une mise en forme institutionnelle de sa diversité ? Le Liban se fût-il
métissé qu’il n’eût pas été proposé comme modèle à l’imitation des pays
pluralistes. Entrevoit-on d’autre issue à la Syrie que l’on dit en voie de
« désintégration en groupes ethniques » autrement dit
confessionnels ? Que n’a-t-on trouvé de système plus approprié à l’Irak de
l’après Saddam gouverné par une majorité chiite et où le régionalisme n’est que
la feuille de vigne du confessionnalisme ?
Le mauvais confessionnalisme
Censé éviter les effets pervers d’une loi électorale
que de plus experts que moi disent obsolète mais que l’on s’accorde à dire
altérée par un découpage tendancieux particulièrement défavorable aux
chrétiens, le projet de loi électorale dit orthodoxe mettrait fin à cette
injustice en permettant à chaque communauté d’élire ses propres représentants.
Ses propagandistes nous jurent la main sur le cœur qu’avec lui les chrétiens
seront enfin assurés d’une parité sans mélange. Qu’il nous soit permis d’en
douter. Car de quoi s’agit-il quand on parle d’une authentique représentation
des chrétiens ? D’avoir des députés qui ne soient pas propulsés au
Parlement par la seule grâce du vote musulman ? Assurément. A la condition
implicite qu’ils défendent les aspirations chrétiennes à un Etat indépendant et
souverain étendant son autorité sans partage sur tout le territoire
libanais ; un Etat respectueux des libertés publiques ; un Etat
garant de la diversité qui a fait la singularité de ce pays au milieu d’un
environnement marqué par la monochromie. Hélas, sur ce plan, ce n’est pas le
projet « orthodoxe » qui leur donnera satisfaction, tant s’en faut.
Avec une parité strictement formelle qui n’a de parité que le nom, ce projet
nous précipiterait infailliblement, par le jeu des alliances, dans le giron
iranien. C’est à se demander quelle mouche a pu piquer les Phalanges et les
Forces Libanaises pour tomber si lamentablement dans le panneau.
Tout à son obsession de la
parité, n’ayant d’égard que pour les spécificités communautaires, le projet
« orthodoxe » serait la ruine des solidarités tissées au fil des
siècles entre les diverses communautés libanaises : des intérêts économiques
aux biens intellectuels, moraux et culturels en passant par les amitiés
entretenues entre familles, quartiers, villages, régions, etc., tout un espace
commun, fruit d’un vécu commun, constitue la trame de la grande famille
libanaise.
Le bon confessionnalisme
Un système rétrograde et d’un autre âge que le
confessionnalisme ? Il fut pourtant assez souple pour s’adapter aux
bouleversements qui ont secoué le pays après le 14 février 2005. D’une part,
l’émergence d’une majorité et d’une opposition trans-confessionnelles est un
phénomène assez rare par sa dimension, son amplitude, sa profondeur, sa
hauteur, et sa durée pour être signalé. Quoi de plus compatible en effet avec
le principe de « l’Etat civil » réclamé à cor et à cri, que le
clivage 8/14 mars triant les obédiences des Libanais en fonction de leurs
sympathies politiques, sans égard pour leur appartenance confessionnelle ?
Gageons qu’à l’intérieur de ces deux grandes tendances, ce fameux mois de mars
2005 aura révélé aux Libanais, sans préjudice de leur diversité, plus
d’affinités et de communauté de vues qu’aucun Procuste ne pourra réaliser
jamais.
D’autre part, le déséquilibre qui avait affecté la
parité intercommunautaire au détriment des chrétiens, a été réparée par une
sorte de parité trans-communautaire. Ce qui leur avait été ravi dans l’ordre du
nombre, leur a été rendu dans l’ordre de la substance. Je m’explique. Oui, le
garde-fou de la parité, si indispensable à la lettre comme à l’esprit des
institutions, était devenu inopérant du fait des tutelles qui se sont succédé
sur le pays. Oui, la parité exige pour être effective, que les députés
chrétiens ne soient pas exclusivement redevables de leur siège aux musulmans.
Mais cela s’entend toute condition prérequise étant supposée réalisée.
Notamment que fussent justement représentées les aspirations (d’origine
chrétienne) à un Liban libre, souverain et indépendant, doté d’un appareil
étatique légitime qui ne soit pas aux ordres de mini Etats concurrents. Or
depuis qu’on a vu la ligne de démarcation politique traverser les communautés sous
l’impulsion de l’insurrection du Cèdre, en même temps qu’un antagonisme abyssal
opposer les chrétiens entre eux sur les questions fondamentales, le projet
« orthodoxe » était devenu sans objet et la parité proposée de pure
façade. En s’y attachant, les grandes formations chrétiennes du 14 mars se
condamnent à lâcher la proie pour l’ombre, à moins qu’on se fût abusé sur leurs
véritables intentions et qu’elles fussent secrètement plus jalouses de leur
quote-part que de la parité.
Combien hélas plus fidèle aux aspirations
chrétiennes de souveraineté et de liberté, l’alliance providentielle entre
musulmans et chrétiens scellée dans le sang au lendemain du 14 février
2005 ! Combien plus conforme à l’essence du Liban, la devise « Liban
d’abord » arborée et mille fois répétée par un Saad Hariri joignant dans
le quotidien l’acte à la parole, qu’une vénale surenchère à la parité ou que
les tartarinades de leaders chrétiens qui ont le timbre plus haut à mesure que
les armes alliées se font plus menaçantes !
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