vendredi 9 janvier 2015

La dialectique révolutionnaire à nu (I)


La dialectique révolutionnaire à nu (I)
L’Orient-Le Jour
Mercredi 21 octobre 2009 N°12697

En mettant en garde à la veille du 7 juin contre les projets qui se trament au Liban et qui sont de nature à bouleverser sa physionomie s’ils devaient aboutir - allusion à peine voilée à l’hypothèse d’une victoire de l’Opposition aux Législatives - le Patriarche Sfeir s’est donc trompé dans ses pronostics. Il s’est trompé par défaut, bien sûr. Car il était loin d’imaginer (mais l’était-il vraiment ?) qu’un tel préalable serait superflu et que le bouleversement pressenti aurait quand même lieu en dépit de son échec. La mutation du régime se déroule en effet sous nos yeux dans une résignation quasi générale cependant que l’opposition poursuit inexorablement sa marche vers le pouvoir. En y mettant les formes, s’il vous plaît !

Car voilà des mois que, se faisant enseignante, elle nous entretient de « démocratie consensuelle », nous livrant ses propres vues sur les conditions d’une vraie démocratie, nous reprenant sur les nôtres, et nous indiquant les moyens d’y remédier, lesquels, s’il prouvent quelque chose, c’est sa totale négation du « principe d’identité ». Ce principe, dit encore « principe de non contradiction », que notre intelligence saisit intuitivement, c’est-à-dire immédiatement et sans discours, postule qu’ « un être ne peut pas, en même temps et sous le même rapport être et n’être pas » (Maritain, La Philosophie bergsonienne, Marcel Rivière, 1914, pp. 25, 141). Cela signifie qu’on ne peut pas affirmer d’une chose quelque chose et son contraire : un rond carré par exemple ; une proposition ne peut pas en même temps être vraie et fausse. Que si l’une des deux propositions est vraie, l’autre est obligatoirement fausse.

On aurait grand tort d’ignorer l’importance de ce principe. Sa négation, affirme Charles de Koninck, constitue le premier principe de la philosophie moderne de la révolution (2. Le Principe de l’ordre nouveau, 1943, p. 107). Nous en détenons aujourd’hui la preuve.

A peine de voir sa bonne foi infailliblement prise en défaut, l’opposition ne peut clamer son adhésion au régime démocratique, approuver la tenue d’élections qui impliquent la formation d’un gouvernement issu des rangs de la majorité, et en même temps et sous le même rapport, exiger qu’il soit l’expression de l’unanimité ; accepter le résultat des élections et en même temps exiger la formation d’un Gouvernement d’Union Nationale qui annulerait le résultat de ces mêmes élections. « En même temps et sous le même rapport ». En effet dès avant la tenue des élections, des voix autorisées de l’Opposition ont signifié à la Majorité la prorogation unilatérale de l’accord de Doha en exigeant le tiers de blocage au sein du futur Gouvernement au cas où la victoire devait lui échapper.

Ces récentes prises de position nous ramènent fatalement à la polémique qui éclatait, il y a quelques mois, autour de la Constitution, de la Légalité, de la Présidence de la République, de l’Armée, et des Institutions, entre partisans du Liban et ceux que nous avions définis comme l’expression d’un contre-Liban (c’est-à-dire non pas un Liban contraire, non pas un Liban opposé à un autre Liban, mais le contraire même du Liban). Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner à l’époque que dans la bouche des uns et des autres, les mots n’avaient plus le même sens et qu’au-delà des mots, la polémique portait en vérité sur les choses signifiées, justifiant cette formule de Chesterton « les mots sont la seule chose pour laquelle il vaille la peine de se battre ».

Les « hérésies constitutionnelles » de l’opposition avaient beau se parer de l’éclat d’une rhétorique brillante, les arguments développés n’en restaient pas moins aisément démontables et d’ailleurs démontés comme de simples sophismes et paralogismes. Sémantique, la querelle ne l’était qu’en apparence. Et cette polémique eût été surréaliste si elle n’avait été le couvert d’une praxis révolutionnaire visant rien moins qu’à prendre le pouvoir par tous les moyens, comme l’ont démontré à suffisance l’occupation prolongée du Centre-ville, les émeutes du 23 janvier 2007, l’invasion de Beyrouth et de la montagne le 7 mai 2008. Une dialectique qui serait donc l’instrument d’une praxis révolutionnaire.

On peut tenter d’en pénétrer les ressorts par un raisonnement analogique en faisant un parallèle entre la dialectique marxiste-léniniste et la dialectique hezbollahie. Les meilleurs connaisseurs du communisme savent que si la philosophie marxiste s’est rapidement étendue à des aires de population considérables, c’est pour des « raisons extra-philosophiques » (Maritain, La Philosophie morale, Gallimard, 1960, tome I, p. 279) et non point par l’évidence ou la puissance de sa pensée. « C’est principalement, assure Pie XI dans son Encyclique Divini Redemptoris, § 15, par l’organisation et la propagande du Parti, c’est-à-dire une pratique ». Ce que Jean Madiran a appelé « la pratique de la dialectique ». De quoi s’agit-il ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire