La dialectique révolutionnaire à nu (I)
L’Orient-Le Jour
Mercredi 21 octobre
2009 N°12697
En mettant en garde à la veille du 7 juin contre les
projets qui se trament au Liban et qui sont de nature à bouleverser sa
physionomie s’ils devaient aboutir - allusion à peine voilée à l’hypothèse
d’une victoire de l’Opposition aux Législatives - le Patriarche Sfeir s’est
donc trompé dans ses pronostics. Il s’est trompé par défaut, bien sûr. Car il
était loin d’imaginer (mais l’était-il vraiment ?) qu’un tel préalable
serait superflu et que le bouleversement pressenti aurait quand même lieu en
dépit de son échec. La mutation du régime se déroule en effet sous nos yeux
dans une résignation quasi générale cependant que l’opposition poursuit
inexorablement sa marche vers le pouvoir. En y mettant les formes, s’il vous
plaît !
Car voilà des mois que, se faisant enseignante, elle
nous entretient de « démocratie consensuelle », nous livrant ses
propres vues sur les conditions d’une vraie démocratie, nous reprenant sur les
nôtres, et nous indiquant les moyens d’y remédier, lesquels, s’il prouvent
quelque chose, c’est sa totale négation du « principe d’identité ».
Ce principe, dit encore « principe de non contradiction », que notre
intelligence saisit intuitivement, c’est-à-dire immédiatement et sans
discours, postule qu’ « un être ne peut pas, en même temps et
sous le même rapport être et n’être pas » (Maritain, La Philosophie
bergsonienne, Marcel Rivière, 1914, pp. 25, 141). Cela signifie qu’on ne
peut pas affirmer d’une chose quelque chose et son contraire : un rond
carré par exemple ; une proposition ne peut pas en même temps être vraie
et fausse. Que si l’une des deux propositions est vraie, l’autre est
obligatoirement fausse.
On aurait grand tort d’ignorer l’importance de ce
principe. Sa négation, affirme Charles de Koninck, constitue le premier
principe de la philosophie moderne de la révolution (2. Le Principe de
l’ordre nouveau, 1943, p. 107). Nous en détenons aujourd’hui la preuve.
A peine de voir sa bonne foi infailliblement prise
en défaut, l’opposition ne peut clamer son adhésion au régime démocratique,
approuver la tenue d’élections qui impliquent la formation d’un gouvernement
issu des rangs de la majorité, et en même temps et sous le même rapport,
exiger qu’il soit l’expression de l’unanimité ; accepter le résultat des
élections et en même temps exiger la formation d’un Gouvernement d’Union
Nationale qui annulerait le résultat de ces mêmes élections. « En même
temps et sous le même rapport ». En effet dès avant la tenue des
élections, des voix autorisées de l’Opposition ont signifié à la Majorité la
prorogation unilatérale de l’accord de Doha en exigeant le tiers de blocage au
sein du futur Gouvernement au cas où la victoire devait lui échapper.
Ces récentes prises de position nous ramènent
fatalement à la polémique qui éclatait, il y a quelques mois, autour de la
Constitution, de la Légalité, de la Présidence de la République, de l’Armée, et
des Institutions, entre partisans du Liban et ceux que nous avions définis
comme l’expression d’un contre-Liban (c’est-à-dire non pas un Liban
contraire, non pas un Liban opposé à un autre Liban, mais le contraire même du
Liban). Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner à l’époque que dans la
bouche des uns et des autres, les mots n’avaient plus le même sens et
qu’au-delà des mots, la polémique portait en vérité sur les choses signifiées,
justifiant cette formule de Chesterton « les mots sont la seule chose pour
laquelle il vaille la peine de se battre ».
Les « hérésies constitutionnelles » de
l’opposition avaient beau se parer de l’éclat d’une rhétorique brillante, les
arguments développés n’en restaient pas moins aisément démontables et
d’ailleurs démontés comme de simples sophismes et paralogismes. Sémantique, la
querelle ne l’était qu’en apparence. Et cette polémique eût été surréaliste si
elle n’avait été le couvert d’une praxis révolutionnaire visant rien
moins qu’à prendre le pouvoir par tous les moyens, comme l’ont démontré à
suffisance l’occupation prolongée du Centre-ville, les émeutes du 23 janvier
2007, l’invasion de Beyrouth et de la montagne le 7 mai 2008. Une dialectique
qui serait donc l’instrument d’une praxis révolutionnaire.
On peut tenter d’en pénétrer les ressorts par un
raisonnement analogique en faisant un parallèle entre la dialectique
marxiste-léniniste et la dialectique hezbollahie. Les meilleurs connaisseurs du
communisme savent que si la philosophie marxiste s’est rapidement étendue à des
aires de population considérables, c’est pour des « raisons
extra-philosophiques » (Maritain, La Philosophie morale, Gallimard,
1960, tome I, p. 279) et non point par l’évidence ou la puissance de sa pensée.
« C’est principalement, assure Pie XI dans son Encyclique Divini
Redemptoris, § 15, par l’organisation et la propagande du Parti,
c’est-à-dire une pratique ». Ce que Jean Madiran a appelé « la
pratique de la dialectique ». De quoi s’agit-il ?
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