jeudi 9 septembre 2021

Quand le confessionnalisme exacerbé reprend le dessus

 

Quand le confessionnalisme exacerbé reprend le dessus

 

Tout est matière à confessionnalisation au Liban, disait en substance Mgr Raï. Il n’empêche qu’une double occasion s’offre aujourd’hui pour en parler : les tractations en cours pour la formation du Gouvernement et la perspective des élections législatives en mai prochain.

On a beau jeu de condamner sans appel le confessionnalisme alors que de toutes parts il ne fait que monter en puissance jetant le discrédit sur son plus farouche détracteur : le parti syrien nationaliste social. Je ne sache pas en effet qu’il ait barguigné ou se soit offusqué - en exigeant seulement pour la forme, la rotation communautaire des portefeuilles qui lui échoient -, d’être pressenti pour occuper, sur la quote-part des chrétiens, un portefeuille ministériel. Les idéologues savent s’asseoir sur leur idéologie quand il s’agit de la lutte pour le pouvoir.

Le soulèvement populaire qui a fusé un certain 17 octobre 2019 a fait long feu et on ne semble pas se douter le moins du monde que c’est le confessionnalisme qui l’a fait capoter. Le corona a bon dos. On veut s’obstiner à croire que le mouvement du « tous tant que vous êtes » est positivement trans-communautaire et que ses opposants, qui attaquaient les manifestants au cri de « chi’a chi’a », étaient des marginaux, téléguidés par les officines du hezbollah et de Amal.

Non messieurs, derrière le slogan « kellon ya’ni kellon », les manifestants battaient le pavé avec des arrière-pensées différentes. Pour les sunnites, il fallait en excepter Hariri, pour les chrétiens, Aoun et Geagea, pour les druzes Joumblatt, et pour les chiites, bien sûr, Nasrallah et Berri. Les premiers moments d’euphorie passés, les micros-trottoirs ont fini par révéler cet état d’esprit. Souvenez-vous du point de départ de l’essoufflement du mouvement de protestation. C’était au lendemain de la démission isolée de Hariri, perçue par les sunnites comme une mise en cause directe et inéquitable visant leur communauté, jugée seule comptable du désastre.

Avec le retour en force du confessionnalisme, il ne pouvait y avoir de moment plus mal choisi pour les idéologues rêveurs et naïfs pour abjurer le confessionnalisme et réclamer son abolition. Goha ou Geha, c’est selon, avait obtenu de ses parents leur accord pour qu’il prenne pour épouse la fille du roi, aussi il ne manquait plus que le consentement des parents de la princesse.

Qu’est-ce à dire ?

Le patriarche maronite Béchara Raï évoquait dans l’une de ses homélies très suivies, la prospérité et la joie de vivre qui régnaient au Liban il y a seulement quelques décennies. Il évoquait un souvenir personnel et non pas des temps immémoriaux. Le régime politique quoique confessionnel était alors, à beaucoup près, différent de notre actuel monstrueux modèle. Les communautés à l’époque n’étaient pas aussi repliées sur elles-mêmes. Majorité comme opposition traversaient les communautés.

Permettez-moi, vous qui me lisez, de revenir à mon cheval de bataille de la distinction entre le bon et le mauvais confessionnalisme. Il en est du confessionnalisme comme du nationalisme et de la langue d’Esope. Celle-ci peut servir à dire vrai ou à mentir. Et c’est le « nationalisme exacerbé » qui était condamné par les papes et non point, comme une certaine propagande veut nous le faire croire, le nationalisme en lui-même.

Oui, le mauvais confessionnalisme triomphe aujourd’hui, comme une perversion du confessionnalisme, avec l’exigence explicitement formulée par le « personnel » dirigeant que chaque communauté ou son représentant, nomme ses ministrables aux portefeuilles qui lui échoient. Et c’est le même monstrueux critère qui, à l’instigation des deux grands partis chrétiens, a inspiré l’élaboration et le vote de la loi électorale actuelle de sinistre mémoire. Au risque de perdre à l’Assemblée parlementaire future la majorité soudée par des principes communs et transcommunautaires tels que la souveraineté, la liberté et l’indépendance, ils ont préféré substituer à une loi électorale certes boiteuse et réformable, une loi confessionnelle et absconse au prétexte qu’elle améliore la représentation chrétienne. Sans plus s’en soucier que s’il ne s’était jamais présenté en politique des domaines communs où les intérêts des musulmans et des chrétiens pouvaient converger et où à ce titre ils pouvaient être assumés indifféremment par les uns ou les autres. Le résultat, comme attendu, fut la perte de la majorité parlementaire et le triomphe du contre-Liban.

Pas plus tard qu’en 2005, le bon confessionnalisme trans-communautaire était encore en vigueur. Les mouvements du 8 et du 14 mars en sont le plus éloquent témoignage. Il est passablement curieux que plus personne ne veuille de ce clivage, jusques et y compris dans les rangs des sectateurs de la société dite civile, dont on peut raisonnablement penser qu’ils penchaient du côté du 14. A croire que les mots d’ordre de « souveraineté, liberté, indépendance » qui ont mobilisé, des mois durant, les foules libanaises tous horizons et communautés confondus, sont soudain devenus terriblement dérangeants et qu’il faut désormais mettre durablement en sourdine.

                                                                                                                        Carlos HAGE CHAHINE

https://www.lorientlejour.com/article/1274434/quand-le-confessionnalisme-exacerbe-reprend-le-dessus.html