mardi 7 février 2023

L’HOMOSEXUALITE : CRIME OU PECHE ?

 L’HOMOSEXUALITE : CRIME OU PECHE ?

Réponse au pape François *

Dans une interview accordée à l’Associated Press le 24 janvier dernier, le pape François répond à la question de savoir si l'homosexualité est un crime ou un péché. Indépendamment du fait de savoir si c’est un crime au sens strict du terme ou un délit, le souverain pontife qualifie d’« injustes » les lois qui criminalisent l'homosexualité : « Être homosexuel, déclare-t-il, n’est pas un crime », avant d’ajouter : « Oui, mais c'est un péché. » Sans préciser si même l’inclination homosexuelle, vécue chastement, est peccamineuse ou seulement la consommation de l’acte. Ni s’il s’agit d’un péché[1] capital ou non, véniel ou mortel.

Dès le lendemain le souverain pontife revient sur le sujet, non pas sur le volet des lois criminalisant l’homosexualité, toujours tenues pour fautives, mais pour rappeler un principe constant de la doctrine catholique. « Quand je dis que c’est un péché, je me réfère simplement à l’enseignement moral catholique, qui dit que tout acte sexuel en dehors du mariage est un péché […] Comme vous pouvez le voir, je répétais quelque chose de général. J’aurais dû dire : c’est un péché, comme tout acte sexuel en dehors du mariage » étant sous-entendu que les personnes homosexuelles ne pouvaient pas recevoir le sacrement du mariage. Il ne ressort pas clairement de cette mise au point si le Pape entendait seulement, comme pour se couvrir, en appeler à un principe intangible de la doctrine catholique ou bien encore apaiser les consciences de ceux qui vivent chastement et sans ostentation une inclination homosexuelle, non peccamineuse en tant que telle.

Globalement complices du militantisme homophile[2], il n’est pas étonnant que les médias, généralement si prompts à condamner ce qui semble à première vue une ingérence du pouvoir spirituel dans le domaine temporel, n’aient rien trouvé à redire en réaction aux propos du Pape. A première vue seulement, car quand bien même le domaine de la morale naturelle est accessible à la raison humaine, il ne fait pas moins partie des « questions communes »[3] à l’occasion desquelles l’Eglise, sans aucunement outrepasser les bornes de sa compétence, a le pouvoir d’exercer sa « haute surveillance » sur le temporel. Il en est ainsi précisément toutes les fois que les exigences du salut éternel sont en jeu ; dans les faits, chaque fois que l’on se trouve en présence de « préceptes négatifs », en tant qu’ils « sont universellement valables […], [et qu’ils] obligent tous et chacun, toujours et en toute circonstance »[4].

Encore que le crime ou le délit impliquent le péché et qu’à la base de la peine, pour qu’elle soit acceptable et juste, se trouve une faute morale, rien de plus contraire au christianisme, souligne Michel Villey, que de croire que le but de la peine est la rétribution des péchés, réservée à Dieu seul au jugement dernier. « Le juge terrestre, poursuit le philosophe du droit, est investi d’un rôle beaucoup plus limité. Il ne lui appartient point d’exercer la justice divine, ni de punir tous les péchés, mais seulement, dans le provisoire, dans le temporel, ceux qui nuisent à l’ordre commun temporel dont il a la charge, ceux qui détruisent la vie commune »[5]. Ecoutons saint Thomas d’Aquin : « La loi ne peut donc réprimer tout ce qui est contraire à la vertu, elle se contente de réprimer ce qui tendrait à détruire la vie en commun. » Et ideo lex humana non potuit prohibere quiquid est contra virtutem ; sed ei sufficit ut prohibeat ea quae destruunt hominum convict um »[6].

Or la débauche, observe Marcel De Corte, est « un des facteurs les plus destructifs des sociétés » et « la mère de l’anarchie », dès lors que « le libertin qui poursuit son plaisir particulier est vraiment un homme sans famille et sans cité »[7]. Le Philosophe belge s’en explique : « Comment être un bon citoyen lorsqu’on se livre à l’intempérance, à la seule poursuite du plaisir, toujours irréductiblement personnel […] ? »[8] avant de poursuivre : « Une civilisation aphrodisiaque enchaîne l’homme au plaisir incommunicable de la chair et l’emmure dans un égocentrisme sans porte ni fenêtre ouvertes sur le monde extérieur »[9].

Ecoutons encore saint Thomas d’Aquin sur le chapitre du péché contre nature qui vise, entre autres, l’homosexualité :

« De même que l'ordre de la raison droite vient de l'homme, de même l'ordre de la nature vient de Dieu lui-même. C'est pourquoi dans les péchés contre nature, où l'ordre même de la nature est violé, il est fait injure à Dieu lui-même, l'ordonnateur de la nature. Aussi saint Augustin dit-il : “Les turpitudes contre nature doivent être partout et toujours détestées et punies, comme celles des habitants de Sodome.

Quand même tous les peuples imiteraient Sodome, ils tomberaient tous sous le coup de la même culpabilité, en vertu de la loi divine qui n'a pas fait les hommes pour user ainsi d'eux-mêmes.

C'est violer jusqu'à cette société qui doit exister entre Dieu et nous de souiller par les dépravations de la sensualité la nature dont il est l’auteur.ˮ »[10]

La réponse de saint Augustin reprise par saint Thomas d’Aquin l’est tout autant à la criminalisation ou la simple réprobation de l’homophobie[11] qu’à celles de l’homosexualité. Les « problèmes de société », comme on qualifie pudiquement la dissolution rampante des mœurs, sont des sujets éminemment politiques. En tant qu’ils constituent un danger non anodin pour les sociétés, ils nécessitent l’intervention du législateur qui a la charge du bien commun.

Voici ce qu’en disait Jean Madiran en 2001 : Les « problèmes de société », dit Jean Madiran, ne sont pas « d’un autre domaine que la politique. En réalité ils sont ce qui en politique est le plus décisif. Le sort des nations, le progrès ou le déclin des civilisations ne dépendent que fort peu des conditions économiques, qui elles-mêmes au contraire sont dans la dépendance des idées intellectuelles et morales dominantes. C’est une vue marxiste, aveuglément partagée par la classe politico-médiatique, de croire que les conditions économiques de production commandent la politique, la culture, le destin et le bonheur des peuples. Ce qui commande, c’est la nature de l’homme. Quand on lui impose comme aujourd’hui le TCN, le “tout contre natureˮ dans la politique, la morale et le droit […], alors la nature se venge par la culture de mort, et la mort. Selon l’axiome trop oublié : Dieu pardonne toujours, l’homme quelquefois, la nature jamais. »[12]

D’où il suit que le législateur est parfaitement dans son rôle lorsque dans son appréciation prudentielle, qui est fonction des circonstances, du temps ou du lieu, il juge bon et juste de criminaliser un acte dangereux pour la société. Il est fort malheureux que le pape François, faisant si peu de cas de l’enseignement de la philosophie aristotélicienne-thomiste et des docteurs de l'Eglise, en vienne à mésuser de son pouvoir de « haute surveillance » sur le pouvoir politique en oubliant que si le juge terrestre et le législateur n’ont pas juridiction sur tous les péchés, c’est sous réserve qu’ils ne nuisent pas à l’ordre commun temporel.

Carlos HAGE CHAHINE



* Mise à jour du 13 février 2023 11h20

[1] « Les pratiques homosexuelles, dit Jean Madiran, sont des fautes en matière grave, au même titre général que tout acte sexuel en dehors du mariage monogame et indissoluble, et en outre au titre particulier d’être contre-nature » (Présent, 4611, 11 juillet 2000).

[2] « L’HOMOPHILIE, telle que la définit Jean Madiran, est l’idéologie qui veut imposer comme un dogme la croyance que la relation homosexuelle, le couple homosexuel, le mariage homosexuel sont aussi normaux et aussi respectables que le mariage et la famille fondés sur l’union de l’homme et de la femme » (Présent, numéro 4465, du 8 décembre 1999). C’est « l’idéologie militante, souligne le philosophe et journaliste, qui veut assurer à l’homosexualité une promotion morale et juridique illimitée, l’honorabilité et les droits du mariage, l’adoption éventuelle des enfants, et une répression judiciaire de toute opposition à de si merveilleux projets » (Présent, numéro 4762, du 14 février 2001).

[3] Celles qui sont connues simultanément par la raison et par la Foi (cf. notre essai sur La Laïcité de l’Etat et sa contrefaçon. 2014, pp. 66 et suiv.).

[4] Enc. Veritatis Splendor.

[5] Seize essais de philosophie du droit, Dalloz, 1969, p. 257.

[6] Somme théologique, IIa IIae – Qu. 77 – Art. 1, Solutions 1.

[7] De la tempérance, p. 44.

[8] De la justice, p. 23.

[9] Op. cit., p. 25.

[10] Somme théologique, IIa-IIae, question 154, article 12, Solutions 1.

[11] « L’homophobie, observe Jean Madiran, [est un] (terme […] injurieux, inventé par les homophiles) [qui] désigne péjorativement ceux qui, réprouvant l’homosexualité et surtout contrecarrant l’homophilie militante, sont arbitrairement accusés d’“inciter à la haineˮ » (Présent, numéro 4465, du 8 décembre 1999). Il a été, précise-t-il, « artificiellement créé par l’extrême gauche pour marquer d’infamie les “proposˮ qui expriment la répulsion, l’horreur ou la désolation devant l’inversion sexuelle » (Présent, numéro 5369, du 18 juillet 2003).

[12] Présent, numéro 4758 du jeudi 8 février 2001.