Paix civile et institutions
I De la nécessité de tourner la page
L’Orient-Le Jour
Vendredi 31 août
2007
Jamais la paix civile n’aura été déclinée à tous les
cas comme cette année. Jamais binôme n’aura été aussi incantatoire dans les
harangues des responsables politiques. Et pourtant, en dernière analyse, nous
ne pourrons en juger au for interne faute de pouvoir sonder les cœurs et les
intentions de leurs auteurs. Qu’importe du reste, dès lors qu’en politique ce
n’est pas tant la sincérité qui compte que l’effet et l’impact objectif des
propos sur le public. Nous retiendrons dans cet ordre d’idées deux discours
politiques dans les milieux de l’opposition, qui n’ont d’autre lien entre eux que
leur commune relation à la paix civile et aux institutions qu’ils mettent
gravement en danger.
Le premier discours s’attache à exhumer
périodiquement les horreurs de la guerre civile de 1975-1990 de sinistre
mémoire en se faisant un devoir religieux de rappeler obsessionnellement les
responsabilités des uns en taisant scrupuleusement celles des autres, au mépris
de la réconciliation de la montagne scellée par le patriarche maronite, et de
l’accord de Taëf qui a définitivement clos ce sombre épisode de notre histoire.
Les auteurs de ce discours pour le moins suspect se font gloire d’avoir « les
mains propres mais ils n’ont pas de mains » selon la formule de Péguy.
Ils méditeront avec profit cette observation d’Aristote à propos d’Athènes. La
cité, notait le philosophe, avait écrit dans sa Constitution, chap. 39 :
« L’accord se fit sous l’archontat d’Euclide (403/2 av. J.-C.) aux
conditions suivantes : (…)“6. Nul n’aura le droit de reprocher le passé
à personne (…)” » Cette maxime, les Libanais l’ont éprouvé maintes
fois dans leur passé proche sous sa variante libanaise qui s’exprime par la
formule « ni vainqueur ni vaincu ». Equation qui ne constate pas un
rapport des forces sur le terrain mais une règle normative dont le respect
conditionne l’équilibre et la bonne harmonie entre les différentes communautés.
Gageons du reste qu’elle ne dépare pas les autres constantes libanaises, comme
principe fondamental du pacte national, et qu’elle plonge ses racines dans
l’histoire du Liban du dix-neuvième siècle. Nous pourrions en attester ce
précédent tiré des malheureux événements de 1860.
Aux consuls généraux des cinq grandes puissances qui
le pressaient de réagir pour faire cesser les massacres dont le Liban était le
théâtre, et les chrétiens les victimes, Khourchid Pacha qui porte une
responsabilité majeure dans la tragédie qui déchire le Liban d’alors,
oppose comme condition sine qua non « that the two parties
should agree to forget the past... In
enforcing his proposition, the pasha made use of the Arabic expression, Mâda ma
mâda - “That which is done, is done.” (W. Cooke Stafford, History of the massacres of
1860, London, 1861-1863?). La Commission européenne dépêchée par les cinq
grandes puissances à l’effet de « rechercher la cause et l’origine des
événements… ; de déterminer la part de responsabilité des chefs de
l’insurrection, ainsi que celle des agents de l’administration et de provoquer
la punition des coupables ;… de prévenir le retour de semblables calamités… »,
dote le Liban d’un « Règlement » qui devient en 1864 sa
« Charte » ou sa « Constitution ». Malgré les « ferments
de haine déposés dans les esprits par les massacres de 1860, maux extrêmes
paraissant ne devoir céder qu’à des remèdes violents », Levantin
évalue à l’usage l’efficacité de ce « Règlement », en ces
termes : « Le meilleur éloge du Règlement organique, c’est de
constater qu’il a assuré au Liban quarante ans de paix et de prospérité, comme
la Montagne n’en avait plus connu depuis plusieurs siècles. Résultat vraiment
merveilleux, surtout quand on réfléchit, non seulement aux ruines, mais aux
ferments de discorde accumulés par les massacres de 1860 ! » Si
l’on met dans la balance d’un côté, les parodies de procès contre les coupables
et de l’autre, ces « ferments de discorde accumulés par les massacres »,
les garanties internationales eussent été incapables, sans l’adhésion des
chrétiens à la condition Mâda ma mâda qu’ils avaient acceptée contraints
et forcés, d’expliquer ni d’assurer à elles seules, quarante d’autonomie
et de paix au Liban qui lui valurent la fameuse expression « Heureux
quiconque possède au Liban de quoi abriter une chèvre ».
Sur les horreurs du passé, la paix civile nous
paraît être à ce prix, il faut donc tourner la page. S’agissant des
institutions en revanche, c’est la pérennité qui est la règle.
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