En
marge du Congrès mondial contre la peine de mort à Genève
Les vrais ressorts de la politique pénale (III)
L’Orient-Le Jour
Samedi
13-Dimanche 14 mars 2010 N°12811
La compensation due à la victime d'un crime, est
donc requise par la justice commutative, dite encore corrective,
mise en branle pour le rétablissement d'un équilibre brisé, d'un ordre naturel
rompu et qui crie vengeance. Le talion de l'ancienne loi, s’il est
périmé en tant que tarif, ne l’est pas en tant que principe d'une peine
dont la mesure varie en fonction des mœurs et des circonstances de temps
et de lieux. La vengeance a aujourd’hui mauvaise presse et une connotation
péjorative ; elle est dénoncée comme archaïque et barbare par les « ligues
de vertus ». Et pourtant la Bible est remplie d’allusions à la vengeance
divine. Connaît-on d’autres moyens pour une société de se défendre contre les
criminels qui mettent en danger l’ordre social ? La reconnaissance, sous
certaines conditions, d’un droit de représailles aux Etats, n’est-il pas la
transposition en droit international public du concept de vengeance ?
Qu’est-ce qui est répréhensible dans la vengeance sinon le fait qu’elle soit
prétexte à une justice privée haineuse et disproportionnée ? Or dans une
société organisée, l’exercice de la vengeance n’est pas l’affaire de la victime
ni de sa famille mais du ressort de la Justice avec le concours des pouvoirs
publics qui veillent à l’application de la peine sans haine ni excès.
Condamné en 1978 pour le viol
et le meurtre d'une fillette de 12 ans à Lake City, Ted Bundy, après avoir tout
nié en bloc, avait non seulement tout avoué mais, bousculant les plaidoiries de
ses avocats qui tentaient d'ultimes recours, multiplié les aveux sur le meurtre
de plus de 20 femmes et, la veille de son exécution en janvier 1989,
« parfaitement en paix avec lui-même » aux dires de sa mère, avait
reconnu à la société le droit de se protéger.
L'assassin de Carole Nicard
des Rieux, le docteur Xavier Rouve, était presque étonné de la correction de la
Police à son égard durant sa garde à vue. « Les flics, confie-t-il
à son avocat, ont été très corrects, ils ne m'ont pas bousculé. S'ils
m'avaient frappé, je l'aurais mérité » (Le Figaro du 19 août 1996, p.
28 B).
Comparaissant pour actes de
torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner, du
fils de sa compagne, Marc, un enfant de 5 ans, David da Costa, âgé de 38 ans, a
déclaré devant la cour d’assises du Nord à Douai qui l’interrogeait sur
son enfance : « J’en ai rien à foutre de mon enfance. J’ai tué un
enfant, je mérite la peine de mort. C’est tout ! » (Le Point.fr
03/11/2008).
Sur la psychologie des
criminels, Simone Weil [avec W, à ne pas confondre avec Simone Veil,
ancienne Garde des Sceaux], eut des réflexions d’une profondeur prophétique
autrement instructive que les rapports alambiqués des psychiatres près les
tribunaux, un peu trop enclins à diluer dans un déterminisme quasi mécanique le
libre arbitre et la responsabilité pénale du délinquant. A priver les criminels
de châtiment, on les prive, disait-elle, d’un « besoin vital de l’âme
humaine [...]. Le châtiment le plus indispensable à l'âme est celui du
crime. Par le crime un homme se met lui-même hors du réseau d'obligations
éternelles qui lie chaque être humain à tous les autres. Il ne peut y être
réintégré que par le châtiment, pleinement s'il y a consentement de sa part,
sinon imparfaitement. De même que la seule manière de témoigner du respect à
celui qui souffre de la faim est de lui donner à manger, de même le seul moyen
de témoigner du respect à celui qui s'est mis hors la loi est de le réintégrer
dans la loi en le soumettant au châtiment qu'elle prescrit. [...] Il n'y a
châtiment que si la souffrance s'accompagne à quelque moment, fût-ce après
coup, dans le souvenir, d'un sentiment de justice. Comme le musicien éveille le
sentiment du beau par les sons, de même le système pénal doit savoir éveiller
le sentiment de la justice chez le criminel par la douleur, ou même, le cas
échéant, par la mort. Comme on dit de l'apprenti qui s'est blessé que le métier
lui entre dans le corps, de même le châtiment est une méthode pour faire entrer
la justice dans l'âme du criminel par la souffrance de la chair » (L'enracinement...
Paris, Gallimard, 1990, pp. 32-34).
Témoignant d’une incomparable élévation d’âme,
Abélard supplie Héloïse avec des accents de sincérité émouvante de réciter pour
eux, la prière suivante : « Pardonnez, Ô Dieu très clément, que
dis-je ? vous, la clémence même, pardonnez même des crimes aussi grands
que les nôtres, et que l’immensité de votre miséricorde ineffable se mesure
avec la multitude de nos fautes. Je vous en conjure, punissez à présent les
coupables pour les épargner dans l’avenir. Punissez-les dans le temps pour ne
pas les punir dans l’éternité [...] Châtiez la chair pour sauver les âmes
[...] » (cf. Etienne Gilson, Héloïse et Abélard, pp.
106-107).
****
Si le langage des droits de
l'homme avait été adéquat, il eut fallu revendiquer pour les délinquants le
droit au châtiment. Les châtiments corporels ne sont pas encore d’actualité.
Aucune société n’accepte une répression pénale qui ne corresponde à ses
principes moraux. Notre époque est celle qui a oublié la victime. Obnubilée par
le délinquant, elle est surtout attentive à lui prodiguer ses soins et à le
remettre sitôt que possible en liberté, afin de favoriser sa réinsertion dans
la vie normale, sauf à le livrer à la surveillance d’« éducateurs »,
de pédagogues et à le traiter médicalement. Et tant qu’à faire, mieux vaut
prévenir que soigner. On est trop préoccupé de substituer au droit pénal une
« politique criminelle » tablant sur l’information, les spectacles,
les loisirs, la Télévision, l’Education. Quant à la répression, il est vain
d’en espérer à vue humaine la réhabilitation. Moyen archaïque ! Un tiers
des Etats membres du Conseil de l’Europe qui en compte 47, ont déjà interdit
jusqu’à la fessée, la tape ou la gifle, mettant du même coup au rancart l’usage
du vieux mot « correction » devenu caduc. On feint d’ignorer qu’à vouloir
faire l’ange, on fait la bête. Mais cela est une autre histoire.
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