Guerre et résistance à l’aune de la Civilisation (I)
L’Orient-Le Jour
Jeudi 9 février 2012
N°13337
I Paix et pacifisme
« Plus jamais çà ! », « faites
l’amour, ne faites pas la guerre ! », combien de fois n’avons-nous
pas entendu et, même, été touchés par ces slogans hurlés par de jeunes
pacifistes pour dénoncer les guerres et leurs lots d’atrocités ? La guerre est
horrible. « Personne n’est assez fou, disait Hérodote dans la bouche de
Crésus, pour préférer la guerre à la paix, car dans la paix ce sont les enfants
qui ensevelissent leurs pères et dans la guerre ce sont les pères qui
ensevelissent leurs enfants. » Et cependant il fallait être assez naïf
pour croire en 1928 avec le pacte Briand-Kellog, qu’on pouvait mettre la guerre
« hors la loi » - on connaît la suite. Il se trouve que depuis
Philippe le Macédonien et la chute d’Athènes dans ses mains, le noyautage du
parti pacifiste est devenu un levier classique et une arme redoutable contre
l’ennemi. « Lorsqu’on veut mettre la main sur un pays, fait dire Volkoff à
Pitman dans “le Montage”, on y crée un parti de la paix, qu’on s’applique à
rendre populaire, et un parti belliciste qui se discrédite lui-même, parce que
peu de gens raisonnables peuvent se résoudre à souhaiter la guerre ».
Durant la guerre froide, l’Ouest aurait été fatalement réduit en esclavage s’il
avait écouté les chants de sirène d’une jeunesse pacifiste savamment
instrumentalisée par l’URSS usant et abusant de sa fibre idéaliste. Et confirmant
du même coup le mot de Jean Madiran, « qu’il y a plus terrible encore que
la guerre, c’est de la perdre. »
Pour être un mal nécessaire, la guerre n’en est pas
automatiquement licite ; non plus qu’opportune. L’Eglise pendant des
siècles a concentré ses efforts sur les moyens d’humaniser la guerre en
assortissant son déclenchement et son déroulement de conditions strictes
propres à en atténuer les effets. Les Conventions de La Haye (1899-1907) ne
sont qu’une traduction de ces siècles d’efforts par une « civilisation
laïcisée, mais encore nourrie de sève chrétienne » (Amiral Paul Auphan, La
Guerre et le droit naturel). Aucun dialogue national digne de ce nom, appelé à
plancher sur la question de la Résistance et de « la stratégie de défense »
ne saurait faire l’impasse sur les critères de la guerre juste à savoir qui a
autorité pour décider de la guerre, à quel prix et dans quelles conditions. De
leur satisfaction ou non dépend rien moins que notre qualification au nombre
des nations civilisées ou celui des peuples barbares. Aussi il n’y a pas de
tâche plus urgente que de rappeler ces conditions, en prenant bien soin au
préalable de répondre aux objections soulevées par le pacifisme.
Détournement de l’Evangile. Il est vrai que la religion
chrétienne est une religion de paix. « Heureux les pacifiques
[...] », lit-on dans l’Evangile. Mais il y a loin qu’elle soit réductible
à un pacifisme utopique et on se tromperait lourdement sur son compte si on la
tient pour une religion de pacifistes. « La paix qui consiste... à
pactiser avec le mal a été maudite par le Christ lorsqu’il a dit : “Je ne
suis pas venu apporter la paix, mais la guerre” » (Thibon, Nietzsche ou le
déclin de l’esprit). Bénéficiant de la connivence et du renfort des chrétiens
de gauche, appelés aussi les « chrétiens sociaux », obnubilés par
l’« esprit pacifique » de l’Evangile, les pacifistes ont servi au
siècle dernier de courroie de transmission pour le communisme international
« lequel, sous couleur de pacifisme cherche beaucoup plus à désarmer ses
adversaires qu’à faire régner la justice » (Auphan). Elevés dans un
idéalisme qui est en fait « un vestige et une mauvaise contrefaçon de
l’ancien message évangélique du Royaume des Cieux » (Villey) dont ils se
croient pourtant affranchis, ces mouvements « qui font de la non-violence
un absolu » refusent de faire un distinguo entre une guerre juste et une
guerre injuste, la guerre à leurs yeux étant par essence injuste. Sous le nom
de justice, ils comprennent « une sorte de rêve paradisiaque, future société
idyllique » de liberté, égalité et fraternité vers laquelle l’homme
devrait tendre comme on tendrait vers l’au-delà (Villey). Ce paradis a beau
être humain, désacralisé, il n’en est pas moins imprégné, consciemment ou non,
sinon du christianisme, du moins d’une tradition judéo-chrétienne. Le monde,
disait Chesterton, est plein de vertus chrétiennes devenues folles.
Vertu de force. Jean Madiran observait en 2002 que « les
“autorités morales” sont en pleine déroute intellectuelle. Le “conseil d’Eglises
chrétiennes de France”, réunissant catholiques, protestants et orthodoxes,
s’est mis […] à prêcher qu’ “il faut redire que la guerre ne sert à rien”.
Il faudrait plutôt dire la vérité. La guerre est une aventure cruelle et
terrible, qu’on doit toujours chercher à éviter, mais elle sert, elle a servi, elle servira à quantité de choses bonnes
ou mauvaises. La plupart des frontières que l’on jure aujourd’hui de respecter
ont été établies par la guerre […] S’en prendre abstraitement à la “violence”
ne fait qu’augmenter le brouillamini mental, le trouble et le désarroi, car la
violence est partout, elle n’est pas toujours injuste, elle est même honorée
dans l’Ecriture, en saint Matthieu chapitre onze, verset douze […] »
Le combat est également à l’honneur dans la
liturgie. Le dimanche de Pâques, dans le rite byzantin, et le 2e dimanche de la
Passion, dans le rite latin suivant le missel de 1962, après la bénédiction et
la distribution des rameaux, on récite l’office de l’assaut, extrait du psaume 23 :
« Portes, levez vos frontons
Elevez-vous, portails antiques
Qu’il entre, le roi de gloire !
Qui est-il, ce roi de gloire ?
Le Seigneur, le puissant, le vaillant
Le Seigneur, le vaillant des combats »
(al-jabbarou fil-kitâl).
Le Seigneur, selon les traductions, c’est le
vaillant, le héros ou l’invincible des combats.
Saint Grégoire de Nazianze, qui serait l’auteur de
cette formule, ne craint pas de dire : « Si l’ordre sacerdotal est le
plus saint de tous, le militaire est le plus excellent ». A condition bien
sûr de ne pas prendre les militaires pour de simples « professionnels de
la force » sans scrupule. Non, « le militaire, insiste l’amiral
Auphan, qui sait de quoi il parle, est d’abord celui qui, une fois pour toutes,
a fait le sacrifice de sa vie pour protéger ses semblables ou défendre les
valeurs qu’ils incarnent ». Aussi ce n’est pas un vain mot qu’il faille
développer le sens moral de « ceux qui ont l’honneur redoutable de porter
les armes » et qui peuvent être appelés, dans l’exercice de leur devoir, à
« ôter la vie à une créature de Dieu [qui] est un acte grave ». Au
Moyen Age, raconte-t-il, les chevaliers qui s’engageaient par serment à se
montrer preux, hardis et loyaux et à protéger le peuple des non combattants,
furent choqués par l’institution des Janissaires, véritables corps de
« tueurs », formés d’anciens esclaves n’ayant pas la morale d’emploi
des armes correspondant à leur efficacité technique. Plus près de nous, on se
souvient du sort atroce des militaires libanais assassinés dans leur sommeil en
2007, par les hommes de Fath el Islam. Et de la magnanimité en retour des
soldats de l’armée évacuant, hors du camp assiégé, des enfants que la folie
suicidaire de leurs parents condamnait à une mort certaine.
Ce qui est répréhensible dans la guerre. Il faut avoir une lecture
simpliste pour dénoncer dans ces vues une contradiction dans, ou avec
l’Evangile. « En effet, dit saint Augustin, que blâme-t-on dans la
guerre ? Est-ce le fait que des hommes qui doivent mourir tôt ou tard,
meurent pour établir la paix par la victoire ? C’est là le reproche d’un
lâche, et non d’un homme religieux : le désir de nuire, la cruauté dans la
vengeance, la violence et l’inflexibilité de l’esprit, la sauvagerie dans le
combat, la passion de dominer et autres choses semblables, voilà ce qui est
coupable dans les guerres […] » Du reste, continue saint Augustin, en
ordonnant de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu
(Matt. XXII, 21), le Christ ordonne en réalité de verser le tribut à César, qui
doit servir à alimenter ses armées. « Car les tributs sont destinés à
payer la paie du soldat qui est nécessaire pour la guerre. Aussi quand le
centurion lui dit : “Moi qui suis un homme soumis à la puissance d’un
autre et qui ai sous moi des soldats, je dis à l’un : va, et il va ;
et à un autre : viens, et il vient ; et à mon serviteur : fais
cela, et il le fait (Matt. VIII, 9, 10)”, le Christ fait-il un juste éloge de
sa foi, et ne lui ordonne point de renoncer à sa profession [...] » (Contra
Faustum, XXII, 74).
Dans sa préface au « Voyage du Centurion »
Paul Bourget remarque que le Christ qui a dit au riche : « Quittez
vos richesses », ne dit pas au Centurion : « Quittez votre
service ». Au contraire il l’admire : « Je n’ai jamais trouvé,
dit le Christ, autant de foi dans Israël ».
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