mercredi 28 novembre 2018

Affaire Nissan Quelques points d’interrogation



Le sort ignominieux que la justice japonaise réserve à celui qui a payé de sa personne pour sauver une entreprise chancelante de la ruine, prouve que les prodiges de talents qu’il a pu déployer pendant 19 ans, s’ils ont suffi à la redresser en un temps record et éviter le chômage à quelques dizaines de milliers de salariés, n’ont pas suffi hélas à guérir de l’envie les esprits malades. Parce qu’on lui a versé des salaires mirobolants en proportion de ses compétences, fallait-il pour cela annuler l’effet d’une telle générosité par un acte inouï d’ingratitude, comme salaire supplémentaire… du succès ?

A en croire les témoins à charge – les seuls qu’il nous fût permis d’entendre jusqu’ici, et pour cause – le principal grief que l’on reproche à Carlos Ghosn est « une minimisation de ses revenus durant une longue période dans les rapports financiers ».

En profane de l’économie et de la finance que je suis, je n’entends rien aux prétendues conséquences d’une telle dissimulation sur les marchés financiers et les investisseurs. En citoyen lambda, je note toutefois que ce chef d’entreprise n’a rien dissimulé au fisc, Deo gratias, et qu’il s’est toujours loyalement acquitté de toutes ses dettes au Trésor public. Moyennant quoi je croyais naïvement qu’il serait à l’abri de l’inquisition étatique. Non pas.

C’était compter sans la prodigieuse production législative propre aux périodes de décadence où les règlements foisonnent en proportion de la déliquescence des mœurs – corruptissima republica plurimae leges « Les lois sont d’autant plus nombreuses que l’Etat est corrompu » (Tacite). A la lumière de l’inflation législative qui voit paraître aujourd’hui régulièrement des milliers de lois, de règlements et autres arrêtés, il n’est guère difficile d’imaginer qu’aucun quidam, sitôt qu’en haut lieu on a décidé que son compte est bon, ne sortirait indemne du harcèlement étatique.

En bon numéro deux et fidèle compagnon de son supérieur hiérarchique, le monsieur Hiroto Saikawa aurait pu amener son capitaine à résipiscence et l’exhorter à se mettre en conformité de la législation. Au lieu de quoi il a choisi de rester embusqué et tapi dans l’ombre, à l’ombre de celui à qui il doit sa place de numéro deux, attendant le moment propice pour fondre sur lui et se propulser calife à la place du calife. On connaît la suite. Derrière un visage hiératique, ce cœur tout en sensibilité ne nous aura rien celé de ses émotions vraies ou de commande : « Je ressens, dit-il, une profonde déception, de la frustration, du désespoir même. De l'indignation et du ressentiment ».

Mais parbleu, mais comment les Français, pourtant si prompts au murmure et à la révolte, n’ont rien ressenti de tout cela ni jamais dénoncé le supposé « côté obscur » et le règne « trop long » et « sans partage » de Carlos Ghosn !

Au nom de la comitas, sorte de courtoisie internationale et l’un des fondements du droit international privé, les autorités japonaises sont instamment priées de tenir compte de la condition d’étranger de Carlos Ghosn, d’assouplir les conditions de détention d’un personnage aussi considérable qui a rendu de tels bienfaits à la communauté nippone dans son ensemble, mais surtout de respecter et faire entendre les droits de la défense selon des standards internationaux.
Carlos Hage Chahine
L'Orient Le Jour
29 novembre 2018

 

mercredi 19 septembre 2018

http://abbe.laffargue.over-blog.com : Peut-on changer l'enseignement de l'Eglise sur la peine capitale ? de Cyrille Dounot

http://abbe.laffargue.over-blog.com/2018/09/la-peine-de-mort.peut-on-changer-l-enseignement-de-l-eglise-livre-de-cyrille-dounot.html



Lecture recommandée: Peut-on changer l'enseignement de l'Eglise sur la peine capitale ? de Cyrille
Dounot, professeur d'histoire du droit à l'Université Clermont-Auvergne, dans L'Homme nouveau du
1er sept. 2018 (en Tribune libre, pages 10 et 11).

En effet, le Pape François, le 11 mai dernier, a modifié le n° 2267 du Catéchisme de l'Eglise
Catholique sur la position de l'Eglise sur la peine de mort, en l'excluant totalement (thèse
abolitionniste des Vaudois au XIIIème siècle et des "Lumières").

L'auteur conteste cette décision, tant sur la forme (forme juridique canonique: simple rescrit donné
lors d'une audience ordinaire, non en forme spécifique abrogeant les dispositions antérieures, position
personnelle du Pontife régnant à la lumière de l'Evangile sans justification) que sur le fond: la continuité
doctrinale.

En effet, du premier Pape, saint Pierre, jusqu'à saint Jean-Paul II et Benoît XVI, les Papes ont
toujours affirmé le caractère licite de la peine capitale: Innocent Ier (405), Innocent III (1210), Léon
X (1520), Léon XIII, Pie XI (enc. Casti connubii II, 2), Pie XII (1952, 1954) Jean-Paul II: enc. Evangelium
vitae (1995) bien qu'en lui étant personnellement hostile au n°27, mais sans changer la doctrine dans le
Catéchisme publié en 1992. De même, les conciles de Constance (XVème s.); les Catéchismes du
Concile de Trente, de saint Pie X et le Catéchisme de l'Eglise catholique fruit d'un travail de six
années d'une commission de six cardinaux, de sept évêques résidents (en activité), d'un grand
nombre de spécialistes, de théologiens, de moralistes après la rédaction de neuf versions
provisoires, de la consultation de tous les évêques catholiques, des conférences épiscopales, des
Instituts de théologie, etc.

Les Pères de l'Eglise comme saint Hilaire, saint Jérôme ou saint Augustin justifient la peine capitale
comme exception au cinquième commandement: Tu ne tueras pas au même titre que la légitime
défense. De même saint Bonaventure, saint Alphonse de Liguori (patron des moralistes) ou saint
Robert Bellarmin. Surtout saint Thomas d'Aquin qui a consacré un article dans la Somme théoloqique
(IIa IIae, qu. 64, art. 2; cf aussi Ia IIae, qu. 100, art. 8, ad 3um citant la 1 Cor 5, 6) et dans la Somme contre
les Gentils (III, 146).

C. Dounot cite saint Jean-Paul II qui s'opposait à l'idée qu'un pape modifie une doctrine toujours
enseignée partout et par tous: "Le Pontife romain a la sacra potestas d'enseigner la vérité de l'Evangile,
d'administrer les sacrements et de gouverner l'Eglise au nom et avec l'autorité du Christ, mais cette
postestas, puissance, n'inclut en soi aucun pouvoir sur la Loi naturelle ou positive" (Discours à le
Rote romaine, 2000). Dans une note (juin 2004), le cardinal Ratzinger – alors Préfet de la Congrégation
de la doctrine de la Foi – évoquait la possibilité d'un légitime désaccord avec le Saint- Père sur
l'application de la peine capitale ou sur la décision de faire la guerre, ces matières relevant de la vertu
humaine (vertu morale cardinale. Ndlr) de Prudence. Il précisait en outre: les questions morales n'ont
pas toutes le même poids moral que l'avortement ou l'euthanasie (...). Les catholiques peuvent légitimement
avoir des opinions différentes sur la guerre ou la peine de mort, mais en aucun cas sur l'avortement et
l'euthanasie."

Enfin sur l'Evangile (qu'invoque François sans préciser), l'auteur écrit: "La peine capitale fut le
moyen juridique de la Rédemption et l'Evangile présente Notre-Seigneur acceptant l'affliction de
cette peine, ne déniant cette prérogative ni à Pilate ni au Sanhédrin (Cf Jn 19, 11). De même le bon
larron déclare devant le Christ, sans être rabroué, que pour nous, c'est justice, car nous subissons ce
qu'ont mérité nos actes (Lc 23, 41)."

En conclusion, nous sommes bien libres d'avoir, avec l'Eglise et la Tradition, une autre opinion que
l'opinion personnelle – que nous respectons – du Pape régnant qui ne peut nous obliger à penser
comme lui et, presque, de nous y obliger par un rescrit.

Ab. L.

P.S.: Il est intéressant de relire le livre du Père Bruckberger, dominicain: Oui à la peine de mort, Plon,
1985 et, pour nos amis du Proche-Orient: "Pourquoi je suis pour la peine de mort", essai, de Carlos Hage
Chahine avec Névine Toutounji, Beyrouth, 2017, 86 pages, chez l'auteur
ou