Le sort ignominieux que la justice
japonaise réserve à celui qui a payé de sa personne pour sauver une entreprise
chancelante de la ruine, prouve que les prodiges de talents qu’il a pu déployer
pendant 19 ans, s’ils ont suffi à la redresser en un temps record et éviter le
chômage à quelques dizaines de milliers de salariés, n’ont pas suffi hélas à
guérir de l’envie les esprits malades. Parce qu’on lui a versé des salaires
mirobolants en proportion de ses compétences, fallait-il pour cela annuler
l’effet d’une telle générosité par un acte inouï d’ingratitude, comme salaire
supplémentaire… du succès ?
A en croire les témoins à charge – les
seuls qu’il nous fût permis d’entendre jusqu’ici, et pour cause – le principal
grief que l’on reproche à Carlos Ghosn est « une minimisation de ses
revenus durant une longue période dans les rapports financiers ».
En profane de l’économie et de la
finance que je suis, je n’entends rien aux prétendues conséquences d’une telle
dissimulation sur les marchés financiers et les investisseurs. En citoyen lambda,
je note toutefois que ce chef d’entreprise n’a rien dissimulé au fisc, Deo
gratias, et qu’il s’est toujours loyalement acquitté de toutes ses dettes
au Trésor public. Moyennant quoi je croyais naïvement qu’il serait à l’abri de
l’inquisition étatique. Non pas.
C’était compter sans la prodigieuse production
législative propre aux périodes de décadence où les règlements foisonnent en
proportion de la déliquescence des mœurs – corruptissima republica plurimae
leges « Les lois sont d’autant plus nombreuses que l’Etat est
corrompu » (Tacite). A la lumière de l’inflation législative qui voit
paraître aujourd’hui régulièrement des milliers de lois, de règlements et
autres arrêtés, il n’est guère difficile d’imaginer qu’aucun quidam, sitôt
qu’en haut lieu on a décidé que son compte est bon, ne sortirait indemne du
harcèlement étatique.
En bon numéro deux et fidèle
compagnon de son supérieur hiérarchique, le monsieur Hiroto Saikawa aurait pu
amener son capitaine à résipiscence et l’exhorter à se mettre en conformité de
la législation. Au lieu de quoi il a choisi de rester embusqué et tapi dans
l’ombre, à l’ombre de celui à qui il doit sa place de numéro deux, attendant le
moment propice pour fondre sur lui et se propulser calife à la place du calife.
On connaît la suite. Derrière un visage hiératique, ce cœur tout en sensibilité
ne nous aura rien celé de ses émotions vraies ou de commande : « Je
ressens, dit-il, une profonde déception, de la frustration, du désespoir même.
De l'indignation et du ressentiment ».
Mais parbleu, mais comment les
Français, pourtant si prompts au murmure et à la révolte, n’ont rien ressenti
de tout cela ni jamais dénoncé le supposé « côté obscur » et le règne
« trop long » et « sans partage » de Carlos Ghosn !
Au nom de la comitas, sorte
de courtoisie internationale et l’un des fondements du droit
international privé, les autorités japonaises sont instamment priées de tenir
compte de la condition d’étranger de Carlos Ghosn, d’assouplir les conditions
de détention d’un personnage aussi considérable qui a rendu de tels bienfaits à
la communauté nippone dans son ensemble, mais surtout de respecter et faire
entendre les droits de la défense selon des standards internationaux.
Carlos
Hage Chahine
L'Orient Le Jour
29 novembre 2018