La démocratie consensuelle entre réalité et apparence
L’Orient-Le Jour
Samedi 1er avril 2006
Il est beaucoup question depuis quelque temps de
démocratie consensuelle. Le concept est en effet séduisant. Mais en Orient il
faut se méfier des concepts. Longtemps rompus à la dissimulation par des
siècles de persécution, les Orientaux sont passés maîtres dans la duplicité du
langage. Ils disent autre chose que ce qu’ils pensent quand ils ne pensent pas
autre chose que ce qu’ils disent.
Dans un passé pas si lointain, lorsque le
rapport des forces tournait à leur avantage, les partis – pour ne pas les citer
– qui revendiquent aujourd’hui la démocratie consensuelle, étaient des
partisans farouches de la démocratie numérique.
La vérité est que le système politique libanais
est tout entier fondé sur, immergé dans, la démocratie consensuelle. Mais ce
consensualisme est en amont des institutions libanaises et non en aval. En ce
sens que lorsque la constitution libanaise, l’ancienne, celle de 1926, déclare
tous les Libanais égaux en droit, le principe égalitaire énoncé – qui eût
favorisé la démocratie du nombre – est aussitôt tempéré par le pacte national
de 1943, qui répartit les trois présidences en fonction non pas du nombre mais
des communautés et de l’équilibre des forces nationales et internationales de
l’époque. Encore un exemple du décalage entre l’apparence et la réalité où la
dissimulation est passée jusques dans les institutions. Cet exemple est
l’illustration par excellence de l’application du principe de la démocratie
consensuelle. Et non point un exemple isolé. L’accord de Taëf et toutes les
lois électorales anciennes et actuelle portent la marque de ce principe au nom
duquel le paramètre du nombre est pondéré par d’autres considérations telles
que le poids de l’histoire, des communautés, des familles mais aussi des
influences régionales et internationales.
Ce qui signifie en clair que chaque majorité
issue d’élections législatives est l’expression et la mise en œuvre de la
démocratie consensuelle qui est au cœur même du système libanais. Que faut-il
de plus à ces parti(e)s qui feignent de découvrir aujourd’hui ce
principe ? Qu’il en soit fait application, par exemple, en aval des
institutions, à chaque séance du Conseil des ministres, et jusque dans
l’élection du nouveau président, au risque de vider ces institutions de leur
sens ? Que cache une telle revendication ?
Il est à craindre que la minorité actuelle, non
contente d’avoir neutralisé le jeu normal des institutions libanaises et tenu
en échec la majorité par le récent boycott, se considère investie d’une
légitimité supérieure et veuille en outre imposer ses propres vues, sa propre
politique et ses propres candidats. N’a-t-on pas vu triompher son candidat à
Baabda-Aley comme candidat de consensus ? N’ambitionne-t-elle pas le sacre
au sommet de l’Etat de son propre candidat, comme candidat de compromis ?
En réalité la minorité actuelle est convaincue
que la majorité actuelle est fictive et qu’au jeu de la démocratie directe, son
candidat à la présidence l’emporterait facilement. Cela reviendrait à récuser
les institutions libanaises, leur esprit, leur fondement historique, au profit
de la radiographie instantanée d’une opinion publique qui leur semble
favorable. Qui pis est, cela réintroduirait la démocratie du nombre, qu’ils
déclaraient combattre et paverait la voie à l’instauration d’un nouveau système
politique instable et fluctuant au gré des revirements d’opinion.
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