samedi 6 janvier 2024

Fiducia supplicans, ou La confusion au sommet de l’Eglise

Fiducia supplicans, ou La confusion au sommet de l’Eglise

 

La Déclaration Fiducia supplicans publiée par le préfet du Dicastère de la Foi le 18 décembre dernier, a suscité l’émoi et l’incompréhension d’un très grand nombre de chrétiens. Elle dispose qu’il est « possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe » sous certaines réserves. Elle a pris en effet la précaution d’enserrer ces bénédictions « sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales, afin de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage ». Cela n’a pas suffi à atténuer l’immense onde de choc causée, bien au-delà des chrétiens en général et des catholiques en particulier, aux personnes de bonne volonté qui partagent avec eux, le respect de la loi naturelle.

Dans une note publiée le jeudi 4 janvier 2024, on apprend sous la plume de Jean-Marie Guénois (Le Figaro du 5 janvier), que « le Pape François amorce un recul », Rome révisant « les modalités de sa décision polémique » en concédant aux évêques « la responsabilité d’exécuter ou de reporter, selon le “contexteˮ de leur diocèse, la mise en œuvre de cette “déclarationˮ. Il n’est pas très clair en quoi cette note constitue un remaniement ou un recul, la déclaration du 18 décembre dernier ayant disposé qu’il était « possible de bénir… » On peut en inférer que pour autant que le vocable « possible » est entendu au sens de « licite », il n’était pas possible pour un clerc d’opposer un refus d’aucune sorte à la déclaration.

La fameuse déclaration non plus que la mise au point papale n’ont empêché nombre de Conférences épiscopales et d’évêques en Afrique et en Europe de crier qui au scandale, qui au blasphème et au sacrilège, faisant acte d’objection de conscience sinon de rébellion et de désobéissance.

Dans un entretien accordé au quotidien espagnol ABC, publié le 27 décembre, le préfet du Dicastère de la foi, le cardinal argentin Victor Manuel Fernandez, prend prétexte de ce que dans certains pays d’Afrique l’homosexualité est punie d’emprisonnement pour expliquer « la levée de boucliers contre son texte ». Et concéder aux évêques, ainsi qu’il ressort de l’entretien accordé au site américain The Pillar, la possibilité d’invoquer « la prudence et l’attention portée à la culture locale », pour justifier des modalités d’application « différentes » de cette décision romaine.  « Ce qu’ils soulèvent, développe-t-il, c’est l’inconvénient de réaliser des bénédictions dans leurs contextes régionaux […] A cela s’ajoute qu’en Afrique il existe une législation qui pénalise le simple fait de se déclarer gay d’une peine de prison, imaginez une bénédiction ». C’était de sa part feindre d’ignorer l’argument principal invoqué par les évêques africains, savoir qu’une telle disposition « contredit la loi de Dieu, les enseignements de l’Eglise, les lois de notre nation et les sensibilités culturelles de notre peuple » (Le Figaro du 22 décembre dernier), les peines civiles n’étant à leur sens qu’un motif surabondant de refuser de telles bénédictions.

En conclusion, la déclaration Fiducia supplicans a été l’occasion de rappeler la pertinence de ce « flair », ou « instinct spirituel » que l’on appelle le « sensus fidei fidelium ». Mais aussi et surtout les limites de l’obéissance aux lois humaines. « A appliquer la doctrine de saint Thomas sur l’obéissance aux lois humaines[1], rappelle Jacques Maritain, dans deux cas seulement la résistance serait permise : celui où un Pape prendrait des mesures évidemment subversives du bien commun de l’Eglise, et celui où il commanderait un péché, un acte intrinsèquement mauvais, - en ce dernier cas la désobéissance serait non seulement permise mais nécessaire »[2]. Forts de cette doctrine, les évêques qui se sont rebiffés ont exercé à bon escient l’objection de conscience. Cela ne les exonère pas pour autant, en cas de défaillance des Etats, d’agir, au nom du pouvoir indirect[3] qu’ils ont sur le temporel ou du devoir de suppléance (ou fonction vicariante) qui sont les leurs, en exhortant à temps et à contretemps les législateurs à mettre les lois civiles en conformité avec la loi morale naturelle, voire au besoin à procéder par condamnations chaque fois que leurs législations mettent en danger le salut des âmes. Loin de porter atteinte au principe de laïcité de l’Etat, ce pouvoir procède de la juridiction de l’Eglise sur la cité, qui signifie tout simplement la subordination du bien commun temporel au bien commun spirituel conformément au principe de la hiérarchie des fins. Ce faisant, l’Eglise ne s’arroge pas un pouvoir distinct du pouvoir spirituel, car il s’agit d’un seul et même pouvoir, le pouvoir spirituel précisément, « qu’il atteigne des choses de soi spirituelles, souligne le cardinal Journet, ou des choses de soi temporelles lorsque par accident elles sont devenues spirituelles ».

Carlos HAGE CHAHINE



[1] Somme théologique, I-II, 96, 4.

[2] Primauté du spirituel, (coll. Le Roseau d’or, œuvres et chroniques, 19), Paris, Plon, 1927, p. 59.

[3] « S’il arrive que quoi que ce soit dans les choses temporelles présente un détriment pour le salut éternel, écrit Cajetan, le prélat qui intervient alors dans ce domaine par un commandement ou une interdiction […] use à bon droit de son autorité propre ». C’est pourquoi ce pouvoir d’intervention sur le temporel lui-même, limité aux cas d’interférence accidentelle avec le spirituel, l’Eglise le possède non pas en tant que tel, mais en tant qu’intéressant l’ordre du salut ; non pas « directement » en vue du temporel lui-même et du bien temporel à procurer, mais « indirectement » en vue du spirituel, lorsque le temporel se trouve lié au spirituel (cf. La Laïcité de l’Etat et sa contrefaçon, pp. 102-103).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire