Le talon d’Achille du modèle libanais,
ou, comment un conflit politique dégénère en conflit confessionnel
Modèle de coexistence et d’équilibre, le compromis
libanais reposait, dans l’optique de ses concepteurs, sur l’accord des
communautés pour « gérer ensemble ce qui les rassemble et séparément ce
qui les sépare ». Valable pour la Suisse, cette formule de Vladimir
Volkoff, qui y voyait le secret de la réussite et du bonheur suisses, l’est
tout autant pour le Liban. La formule libanaise puise sa richesse et son
originalité dans le sens des réalités dont nos aînés étaient doués et qui
manque si cruellement de nos jours.
Sauf un dessein pervers qui viendrait fausser le jeu,
étant bien délimités les domaines respectifs des deux pouvoirs, le pouvoir
communautaire d’une part, le pouvoir trans-communautaire de l’autre, aucun
danger d’interférence n’est censé rompre cet équilibre. Aucun différend
politique n’a plus vocation à dégénérer en conflit confessionnel, dès lors que
par nature sont distincts l’espace commun d’une part, j’entends les intérêts
qui traversent les communautés, tels que l’économie, la sécurité des personnes
et des biens, la luttre contre la corruption, etc., qui sont le lieu naturel
des divergences politiques, et l’espace propre des communautés de l’autre, tels
que la foi, le culte, voire le statut personnel.
En réservant ce dernier point au domaine des communautés
confessionnelles, au détriment de la laïcité de l’Etat, la formule libanaise
obéissait à un principe supérieur : la primauté du spirituel chaque fois
que le salut de l’âme est en jeu. Pour les chrétiens en particulier, il était
impensable que comme question mixte touchant aussi bien au spirituel qu’au
temporel, le mariage, qui figure l’union du Christ avec son Eglise, échappât à
la compétence du pouvoir spirituel. Quant au confessionnalisme, qui répartit
les portefeuilles ministériels et les sièges au Parlement et dans la haute
fonction publique entre les différentes communautés historiques du Liban, c’est
une garantie pour les confessions non-musulmanes de non retour à la dhimmitude
et n’entache en rien la laïcité de l’Etat (cf. notre Pouvoir spirituel,
pouvoir temporel ; la laïcité de l’Etat et sa contrefaçon, Beyrouth,
2014)*.
Mais fragile comme tout équilibre, le compromis libanais, c’est
là son point faible, se trouve complètement dévoyé sitôt que par un coup de
force l’on travaille à confondre les deux espaces. Qu’un chef politique ou
qu’une communauté confessionnelle soient trop préoccupés de leur bien propre
pour ne pas chercher à lui faire servir le bien commun, de nature
trans-communautaire, et voilà les différends politiques qui dégénérent en
conflits confessionnels ; qu’à l’opposé, des utopistes niveleurs, trop
repus d’idéal pour ne pas chercher à annexer au bien commun, trans-communautaire,
l’espace propre réservé aux communautés, et voilà à nouveau le sectarisme
confessionnel qui ressurgit fatalement sous les espèces de la loi du nombre. Le
fond du problème libanais vient de ce que le sens du Liban, si embryonnaire que
soit ce sentiment supra-communautaire, qui, à des degrés divers, est de la
responsabilité de tous, les Libanais n’œuvrent pas suffisamment à le faire
croître pour résister aux assauts des uns et des autres.
Carlos Hage Chahine
12 février 2018
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