lundi 12 février 2018

Le talon d’Achille du modèle libanais



Le talon d’Achille du modèle libanais,

ou, comment un conflit politique dégénère en conflit confessionnel


Modèle de coexistence et d’équilibre, le compromis libanais reposait, dans l’optique de ses concepteurs, sur l’accord des communautés pour « gérer ensemble ce qui les rassemble et séparément ce qui les sépare ». Valable pour la Suisse, cette formule de Vladimir Volkoff, qui y voyait le secret de la réussite et du bonheur suisses, l’est tout autant pour le Liban. La formule libanaise puise sa richesse et son originalité dans le sens des réalités dont nos aînés étaient doués et qui manque si cruellement de nos jours.

Sauf un dessein pervers qui viendrait fausser le jeu, étant bien délimités les domaines respectifs des deux pouvoirs, le pouvoir communautaire d’une part, le pouvoir trans-communautaire de l’autre, aucun danger d’interférence n’est censé rompre cet équilibre. Aucun différend politique n’a plus vocation à dégénérer en conflit confessionnel, dès lors que par nature sont distincts l’espace commun d’une part, j’entends les intérêts qui traversent les communautés, tels que l’économie, la sécurité des personnes et des biens, la luttre contre la corruption, etc., qui sont le lieu naturel des divergences politiques, et l’espace propre des communautés de l’autre, tels que la foi, le culte, voire le statut personnel.

En réservant ce dernier point au domaine des communautés confessionnelles, au détriment de la laïcité de l’Etat, la formule libanaise obéissait à un principe supérieur : la primauté du spirituel chaque fois que le salut de l’âme est en jeu. Pour les chrétiens en particulier, il était impensable que comme question mixte touchant aussi bien au spirituel qu’au temporel, le mariage, qui figure l’union du Christ avec son Eglise, échappât à la compétence du pouvoir spirituel. Quant au confessionnalisme, qui répartit les portefeuilles ministériels et les sièges au Parlement et dans la haute fonction publique entre les différentes communautés historiques du Liban, c’est une garantie pour les confessions non-musulmanes de non retour à la dhimmitude et n’entache en rien la laïcité de l’Etat (cf. notre Pouvoir spirituel, pouvoir temporel ; la laïcité de l’Etat et sa contrefaçon, Beyrouth, 2014)*.

Mais fragile comme tout équilibre, le compromis libanais, c’est là son point faible, se trouve complètement dévoyé sitôt que par un coup de force l’on travaille à confondre les deux espaces. Qu’un chef politique ou qu’une communauté confessionnelle soient trop préoccupés de leur bien propre pour ne pas chercher à lui faire servir le bien commun, de nature trans-communautaire, et voilà les différends politiques qui dégénérent en conflits confessionnels ; qu’à l’opposé, des utopistes niveleurs, trop repus d’idéal pour ne pas chercher à annexer au bien commun, trans-communautaire, l’espace propre réservé aux communautés, et voilà à nouveau le sectarisme confessionnel qui ressurgit fatalement sous les espèces de la loi du nombre. Le fond du problème libanais vient de ce que le sens du Liban, si embryonnaire que soit ce sentiment supra-communautaire, qui, à des degrés divers, est de la responsabilité de tous, les Libanais n’œuvrent pas suffisamment à le faire croître pour résister aux assauts des uns et des autres.

Carlos Hage Chahine
12 février 2018

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